Avec les candidats officiels (presque) tous en place pour l’élection présidentielle française de 2022, John Lichfield examine qui est susceptible de se présenter au deuxième tour – et ce que cela signifiera pour la France.

La politique française est compliquée mais rendons les choses simples. Seules deux personnes peuvent remporter l’élection présidentielle d’avril – le président Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, qui a été sélectionnée samedi comme candidate officielle du centre-droit.

Sur la quinzaine de candidats probables au premier tour, seules quatre personnes pourront accéder au second tour le 24 avril : Macron et Pécresse et les terribles jumeaux de l’extrême droite, Marine Le Pen et Eric Zemmour.

Macron battrait soit Le Pen, soit Zemmour – Zemmour un peu plus facilement que Le Pen. Pécresse écraserait l’un ou l’autre.

Mais Macron contre Pécresse au deuxième tour ? Ce serait vraiment très proche.

La France se dirige-t-elle vers sa première femme présidente et sa première femme dirigeante depuis la régente Marie de Médicis au début du 17esiècle? Pas nécessairement.

Pécresse, 54 ans, n’a, dans l’état actuel des choses, qu’une mince chance de terminer dans les deux premiers au premier tour le 10 avril. Elle est à la traîne dans les sondages d’opinion, avec seulement 8 à 10 % de soutien au premier tour.

Macron, en parlant d’une moyenne des sondages d’opinion récents, est à 24%. Le Pen revient à 19 ou 20 %. Zemmour est retombé à 15 ou 16 %.

Beaucoup de choses peuvent arriver en quatre mois – en particulier avec une nouvelle vague de Covid-19 qui fait rage et une autre variante potentiellement méchante menaçante. Pécresse va rebondir dans les sondages grâce à sa victoire samedi dans la primaire fermée du principal parti de centre-droit, Les Républicains (LR). Mais Eric Zemmour aussi.

Dans tout le battage du week-end – la victoire de Pécresse et le premier grand rallye Zemmour à Villepinte (le Nuremberg français ?), il était facile de rater une grosse paille dans le vent.

Un petit mais influent parti ou groupe de pression appelé Le Mouvement Conservateur, anciennement Sens Commun, a rompu ses liens officiels avec Les Républicains après que Pécresse a écrasé le parlementaire d’extrême droite Eric Ciotti 61 à 39 % au deuxième tour de la primaire LR.

Le parti – dominé par des catholiques aisés et fervents qui sont anti-homosexuels et anti-avortement et anti-islam – s’est installé dans le camp d’Eric Zemmour. Ils disaient que la « civilisation française » était en jeu et ils ne croyaient pas que Valérie Pécresse la défendrait.

Et pourtant Pécresse – intelligent, dur, un débatteur fluide – est l’un des leurs. Elle a fait ses études dans un couvent à Neuilly-sur-Seine, la ville ultra-riche à la frontière ouest de Paris. Elle était une figure de proue du mouvement anti-mariage homosexuel Manif pour Tous en 2012-3.

Depuis qu’elle est devenue présidente de la grande région parisienne, Île-de-France, Pécresse a accepté que le mariage homosexuel fasse partie de la société acquis(statu quo) et ne peut pas être inversé. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle est détestée par certains dans son propre parti et par une grande partie de la droite française plus large et plus dure.

L’autre raison est qu’elle a quitté les Républicains en 2017 après avoir désobéi aux ordres du parti et annoncé qu’elle soutiendrait Emmanuel Macron contre Marine Le Pen au second tour de la présidentielle.

Il était instructif de lire les réactions sur les réseaux sociaux samedi à la victoire de Pécresse. Les supporters de Ciotti l’appelaient entre autres « Valérie Traitresse », « Valérie Princesse » et « Macron-en-jupe ».

Si elle était élue présidente, ont-ils déclaré, elle poursuivrait la même politique centriste pro-européenne, prétendument faible en matière de migration et de criminalité, que les gouvernements de gauche, de droite et de centre poursuivent depuis des décennies. Président Valérie Macron, Président Emmanuel Pécresse – même différence.

Pécresse, bien sûr, voit les choses différemment. Elle a confié aujourd’hui au Journal du Dimanche qu’elle proposerait un “puissant projet de rupture (avec le passé)”. Contrairement à Macron, elle ne serait pas une « présidente en zig-jag ».

Oui, elle serait différente – dans le style et dans les marges. Mais fondamentalement, les haineux de Pécresse à droite de la droite ont raison.

Sous un président Pécresse, la France resterait profondément engagée dans l’Union européenne. Les réformes économiques entamées sous François Hollande et Emmanuel Macron se poursuivraient. Elle pourrait être un peu plus sévère vis-à-vis de la criminalité et des migrations mais il n’y aurait pas les politiques ultra-nationalistes, xénophobes et anti-musulmanes menacées par Zemmour et Le Pen.

Une partie du centre-droit français a déjà rejoint le camp Macron : l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, l’actuel Premier ministre Jean Castex, le ministre des Finances Bruno Le Maire, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le maire de Nice, Christian Estrosi.

Quelle est la différence idéologique entre ces personnes et Valérie Pécresse ? Il n’y en a pas.

Si Macron et Pécresse s’affrontent au second tour le 24 avril, ce sera en effet un choix entre Brie et Camembert, Bourgogne et Bordeaux, une question de goût, de jugement et d’allégeance, plutôt que de différences fondamentales. Ils sont tous deux dans le même camp managérial pro-européen, pro-marché, qui commande actuellement l’allégeance d’environ 30 pour cent des électeurs français.

Un autre 30 pour cent soutient la gauche mais ils sont désespérément dispersés entre 6 ou 7 candidats. Aucun d’entre eux n’a plus de 10 pour cent de soutien. À moins que quelque chose de très dramatique ne se produise, il n’y aura aucun candidat de gauche ou vert dans le top quatre le 10 avril, sans parler des deux premiers. De nombreuses personnes de la gauche pourraient être obligées de voter de façon maussade contre l’extrême droite deux semaines plus tard.

Les 30 % restants des électeurs français – ou plutôt plus – souhaitent voir un président d’extrême droite ou d’extrême droite. Ils ne font plus de distinction entre ces catégories. Ils sont eurosceptiques ou europhobes, nationalistes ou carrément xénophobes.

La frontière entre ce bloc nationaliste et le centre-droit modéré Macron-Pécresse passe désormais quasiment par le milieu du parti Les Républicains. Certains des 39% de membres du parti qui ont voté pour Ciotti samedi (et leurs équivalents dans l’ensemble de l’électorat) soutiendront Pécresse. Beaucoup ne le feront pas.

Pour atteindre le deuxième tour, Pécresse comptera sur la fonte du vote Zemmour – mais pas trop. Elle doit reconquérir les électeurs de centre-droit qui ont migré vers lui. Mais elle a besoin de lui pour garder les électeurs qu’il a pris à Le Pen.

Elle a besoin d’une bataille à trois pour la deuxième place le 10 avril dans laquelle elle pourra devancer Le Pen et Zemmour. Elle serait alors soutenue par une grande partie de la gauche haïssant Macron au deuxième tour (qui la détesterait joyeusement pendant les cinq prochaines années).

Je pense qu’il est, dans l’ensemble, peu probable que Pécresse remporte la présidence. Elle pourrait. Si c’était le cas, rien de très dramatique ne changerait.

La grande bataille pour l’âme de la France – démocratique ou autoritaire ; Européen ou ultra-nationaliste – peut-être à venir. Mais cela se produira en 2027, pas en 2022.