AVIS: la grève française de mardi était un pétard mouillé, mais de vrais feux d'artifice sont inévitables

Les manifestants tiennent une pancarte indiquant “Colère générale, grève totale” lors d’une manifestation à Lyon mardi. Photo de JEFF PACHOUD / AFP

L’inflation est endémique en France – plus, semble-t-il, dans la rhétorique politique et médiatique que dans l’indice officiel des prix.

Les grèves inégales d’un jour de mardi en France ont été revendiquées à l’avance comme le début d’un « nouveau Mai 1968 ». Le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon a déclaré qu’ils étaient le début d’un nouveau «Front populaire» (le mouvement qui a remporté les congés payés de deux semaines des travailleurs français dans les années 1930).

Ah bon?

Seul un travailleur ferroviaire sur quatre s’est joint à la grève de mardi. Un dépôt ferroviaire sur trois a voté la prolongation de l’action. La grève a été observée par 6 % des enseignants et 4 % des fonctionnaires.

Le métro parisien fonctionnait normalement ; les bus de la capitale le sont moins.

Après plus de deux semaines de blocage dans les raffineries de pétrole, 90 pétroliers français étaient toujours en grève mercredi (sur 5 000 ou plus à l’échelle nationale). “Seule” une station-service sur quatre manque encore de carburant.

La marche de Mélenchon à Paris dimanche « contre la vie chère » a été encore plus un flop. Il a promis 300 000 marcheurs et en a réclamé 140 000. Un décompte indépendant des médias français a calculé le taux de participation à 29 500.

Alors le président Emmanuel Macron et la Première ministre Elisabeth Borne peuvent-ils pousser un soupir de soulagement ? La révolution a été annulée ?

Pas exactement. La grève des raffineries de pétrole se poursuivra pendant un certain temps. Il n’y a peut-être que 90 travailleurs en grève dans cinq raffineries sur sept, mais ce sont eux qui tournent les roues et appuient sur les boutons qui font couler l’essence et le diesel.

Malgré la «réquisition» par le gouvernement de travailleurs clés, il faudra attendre la semaine prochaine avant que les stations-service ne reviennent à la normale.

Bien que la menace d’une longue grève des cheminots semble avoir été écartée, certains cheminots militants appellent à une série de « journées d’action » (c’est-à-dire d’inaction) ce mois-ci et le prochain. Les travailleurs de l’industrie de l’énergie nucléaire, déjà en grève par intermittence depuis janvier, menacent de retarder les réparations d’urgence et l’entretien de routine des réacteurs français en difficulté nécessaires pour garder les lumières allumées cet hiver.

Il y a un vrai problème de rémunération. Certaines industries n’ont pas réussi à augmenter les salaires en ligne avec l’inflation (officiellement 5,9 %, le plus bas de la zone euro). En conséquence, certains travailleurs trouvent que la hausse cumulée de 8 % du salaire minimum (Le Smic) cette année les a relégués au rang des moins bien payés.

Le président Emmanuel Macron et la Première ministre Elisabeth Borne ont été lents à saisir ce problème et lents à se rendre compte que les énormes bénéfices exceptionnels de l’industrie pétrolière feraient des travailleurs bien payés des raffineries un symbole improbable d’injustice sociale. Ces derniers jours, une série de ministres ont appelé tardivement les employeurs à rétablir les écarts de salaire aussi rapidement que possible.

Les grèves de mardi étaient aussi, en théorie, une réponse à la décision du gouvernement de « casser » (ou du moins d’infléchir) la grève des raffineries en forçant quelques travailleurs clés à reprendre leur poste. Une série de jugements rendus ces derniers jours a confirmé que le gouvernement avait le droit légal de le faire, mais la décision de recourir à ce pouvoir a sans aucun doute aggravé les troubles.

En fin de compte, cependant, d’autres facteurs entrent également en jeu.

Premièrement, il y a les « élections industrielles » quadriennales en décembre qui décideront des forces relatives des cinq principales fédérations syndicales françaises. La CGT traditionnellement dure (Confédération Générale du Travail)veut prouver que l’intransigeance fonctionne mieux que l’approche plus douce et plus laborieuse de la CFDT (Confédération Françaiseçaise Démocratique du Travail)qui a remplacé la CGT comme première fédération de France il y a quatre ans.

Il y a aussi une lutte de pouvoir au sein de la CGT, dont le leader Philippe Martinez prend sa retraite (à 62 ans) au début de l’année prochaine. Ce n’est pas un hasard si la branche « chimie » de la CGT, à laquelle appartiennent les travailleurs du pétrole, est l’une des plus dures au sein d’une fédération dure.

Pour les syndicats militants, et de nombreux marcheurs interrogés mardi, les grèves sont, en partie, un avertissement à Macron et Borne sur la réforme des retraites attendue cet hiver.

Les travailleurs du pétrole, du nucléaire et des chemins de fer font partie des groupes bénéficiant d’accords spéciaux leur permettant de prendre leur retraite même avant 62 ans avec une pension à taux plein. Ils font aussi partie de ces travailleurs qui ont le pouvoir d’infliger le plus grand mal à l’économie française.

Si le gouvernement surmonte les grèves, il sera enhardi dans son intention de faire passer son projet d’augmenter l’âge minimum de la retraite de 62 à 64 ans au cours des quatre prochaines années (et à 65 éventuellement).

Le gouvernement minoritaire de Borne utilisera son pouvoir d’urgence en vertu de l’article 49.3 de la constitution pour faire passer une première lecture de ses plans budgétaires 2023. Cela va produire une explosion de fausse indignation chez les députés de l’opposition de gauche, de droite et d’extrême droite qui ont tout fait ces derniers jours pour la rendre inéluctable.

Mais ce ne sera rien comparé à la réaction, en termes de grèves et de manifestations de rue, si Macron utilise également le 49.3 (comme il peut et dit qu’il le fera) pour promulguer la réforme des retraites en février ou mars prochain. Seuls 38 % des Français déclarent soutenir les grèves d’hier ; plus de 70 % sont contre la réforme des retraites.

L’agitation sociale actuelle va bégayer pendant un certain temps. Le grand problème pour le gouvernement pourrait bientôt être les travailleurs du nucléaire plutôt que les 90 grévistes des raffineries.

Mais la véritable conflagration se trouve quelques mois devant nous.