AVIS: Le nouveau ministre de l'Éducation a déjà donné une leçon sur le problème racial de la France

Le ministre français de l’Éducation et de la Jeunesse, Pap Ndiaye (Photo par Emmanuel DUNAND / AFP)

La France n’est pas forcément plus raciste que d’autres pays. Selon mon observation, il est moins raciste que les États-Unis mais plus subtilement raciste que la Grande-Bretagne.

La nomination au poste de ministre de l’Éducation d’un éminent historien noir – et, pire, d’un historien de la « noirceur » – a exposé les préjugés grossiers et ethniques de l’extrême droite française et de certaines parties de la droite française.

Il a également souligné les girations et les hypocrisies des croyants dans la religion d’État officielle et non officielle de la France : la foi en une République unique, « laïque et indivisible », dans laquelle tous les citoyens sont « égaux devant la loi ».

Depuis 2018, la constitution française nie l’existence de la race. Le mot a été supprimé de l’article premier de la Constitution de la Ve République au motif que nous sommes tous des êtres humains et que l’idée de « race » est elle-même raciste.

Pour cette même raison bien intentionnée, il est illégal de collecter des statistiques raciales en France depuis 1978.

Voulez-vous savoir comment les enfants noirs réussissent dans le système scolaire public ? Ou à quel point les Noirs sont-ils en moyenne bien nantis en France ? Sont-ils plus susceptibles que les Blancs d’être au chômage ? Ou envoyé en prison ?

Il vous est interdit de connaître l’une de ces choses. Si vous collectez et publiez de telles statistiques (à quelques exceptions près), vous pouvez être emprisonné pendant cinq ans et/ou condamné à une amende pouvant aller jusqu’à 300 000 €.

Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’éducation, pense que cette règle est erronée. Elle cache des réalités sociales, dit-il ; elle alimente aussi les fantasmes des racistes.

De même, il s’oppose à la suppression du mot « race » de la constitution française. La race n’existe peut-être pas scientifiquement, dit-il, mais les préjugés raciaux ou la conscience raciale existent. Tant que cela est vrai, les personnes noires et brunes doivent être protégées par la Constitution.

Ndiaye estime également que, dans certaines circonstances, la discrimination positive en faveur des minorités raciales est justifiée.

Il a participé à la rédaction d’un rapport sur l’Opéra de Paris, qui suggérait que l’absence presque totale de visages – et de corps et de voix – non blancs des grandes compagnies françaises d’opéra et de ballet ne pouvait être corrigée que par une action directe.

Depuis sa nomination inattendue au poste de ministre de l’Éducation vendredi dernier, les opinions de Ndiaye ont été utilisées, et détournées, par la droite et l’extrême droite pour le dépeindre comme un « racialiste », un « communautaire » ou un « indigéniste ».

Pour ne donner qu’un exemple, voici un tweet de Philippe de Villers, soi-disant le visage de la fin la plus respectable de l’ultra-droite catholique mais désormais compagnon de route du xénophobe Eric Zemmour.

« La nomination de Pap Ndiaye à l’Education est un tournant historique. Le racisme a pris le pouvoir. Emmanuel Macron est passé à l’étape suivante : il s’est rendu à l’ennemi intérieur qui veut nous décoloniser et nous coloniser.

C’est absurde mais pas surprenant. La droite française – pas seulement l’extrême droite – a toujours du mal à accepter des Noirs intelligents et forts d’esprit au sein du gouvernement. Christiane Taubira, lorsqu’elle était ministre de la justice de 2012 à 2017, s’est fait lancer des bananes, non pas par des lepennistes mais par de jeunes catholiques opposants au mariage homosexuel.

Cependant, la nomination de Ndiaye a également provoqué des inquiétudes dans la gauche ultra-républicaine et ultra-laïque. Jean-Pierre Chévènement, l’ancien ministre socialiste de l’intérieur, a déclaré que les opinions publiées du ministre de l’éducation étaient incompatibles avec sa nouvelle fonction. L’éducation nationale est, dit Chévènement, censée promouvoir l’idéal de la France en tant que République « indivisible ».

C’est bien aussi loin que ça va. L’État laïc et indivisible est important pour l’identité nationale française. Il est souvent déformé à l’étranger (en particulier dans les pays islamiques et dans la partie libérale des médias américains).

L’État laïc français est une garantie d’égalité et de liberté de culte. C’est aussi une garantie de la liberté d’être différent, tant que vous ne refusez pas cette liberté aux autres.

Je pense que les tentatives d’Emmanuel Macron pour freiner l’avancée des formes radicales et séparatistes de l’islam, bien que parfois maladroites, sont justifiées. S’ils devraient inclure la répression du “burkini”, je ne suis pas sûr.

La « grenouillère » de bain islamique doit-elle être considérée comme une menace pour les droits des femmes ou comme une affirmation du droit de certaines femmes de s’habiller ou de se déshabiller différemment ?

Et pourtant Pap Ndiaye a aussi raison. La religion d’État laïque bien intentionnée de la France aide parfois à cacher le type de discrimination qu’elle est censée abhorrer.

Il y a une hypocrisie institutionnalisée à interdire les statistiques raciales parce que tous les Français sont égaux, alors qu’ils ne le sont manifestement pas. Il y a aussi une hypocrisie institutionnalisée à nier qu’il y ait un racisme institutionnel dans la police française.

Le président Emmanuel Macron a peut-être choisi Pap Ndiaye pour des raisons électorales et tactiques. Il peut espérer émousser les accusations de la gauche selon lesquelles il est «raciste» et qu’il se soucie peu des luttes des banlieues multiraciales.

Il a peut-être pensé qu’il était temps de sortir de la laïcité radicale de son ancien ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, et de son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.

C’est tout de même une nomination courageuse et passionnante. L’éducation, en particulier dans les «banlieues» multiraciales et la France rurale et blanche, est l’un des plus grands défis auxquels sont confrontés ce gouvernement et les futurs gouvernements.

Les Français de toutes races devraient souhaiter bonne chance à Ndiaye. Il a pris un bon départ en visitant le collège de la banlieue ouest parisienne où le professeur d’histoire Samuel Paty a été décapité par un terroriste islamiste en octobre 2020.

Lors de sa visite à Conflans-Saint-Honorine, le nouveau ministre de l’Éducation nationale s’est engagé à défendre les valeurs « universelles » et la promesse d’opportunité pour tous qu’offre la République française « indivisible ».

Il ne l’a pas dit lors de sa visite, mais les précédents écrits de Ndiaye suggèrent que « l’universel » et même « l’indivisible » peuvent et doivent englober la différence et reconnaître la discrimination.