Calais est une tragédie sans fin – écrit John Lichfield – et quelque chose comme la calamité de mercredi est inévitable depuis des mois.

L’une des définitions de la tragédie est que tout le monde a en partie raison et tout le monde a en partie tort.

Boris Johnson ne fait pas de tragédie. Son premier réflexe après fut de blâmer les Français.

Oui, les Français sont en partie à blâmer. Les Britanniques aussi. Les passeurs aussi. Les migrants eux-mêmes aussi. Ainsi, sans doute, sont les bénévoles et les ONG qui adoucissent la misère et la misère dans laquelle des milliers de candidats à l’émigration vers la Grande-Bretagne vivent dans des camps de fortune dans le Pas-de-Calais.

J’écris depuis 24 ans sur la crise des migrants à Calais. Il existe depuis près de 30 ans. Tout a été essayé. Rien ne marche longtemps.

Le « problème de Calais » ne peut pas être résolu à Calais car ce n’est pas un problème de Calais. C’est une petite partie d’un problème européen, ou mondial, de déplacement de peuples par la guerre ou la famine ou la misère, qui n’a pas non plus de solution simple.

Il est temps (un peu d’espoir) pour le public britannique, les médias britanniques et la classe politique britannique de faire face à quelques faits simples.

L’idée que la Grande-Bretagne est « submergée » (mot grotesque après ce qui s’est passé hier) par la migration illégale est un non-sens. Au cours des deux dernières années, le nombre de demandeurs d’asile/réfugiés/migrants illégaux arrivant en Grande-Bretagne a diminué, mais n’a pas augmenté.

Il a diminué parce que la France – travaillant pour le compte de la Grande-Bretagne – a bloqué les routes par lesquelles les migrants traversaient autrefois la Manche, par bateau ou tunnel, camion ou train.

D’où le début de l’« invasion » des petits bateaux il y a trois ans, montant en crescendo avec 25 000 traversées réussies cette année. À quoi il faut ajouter environ 50 000 passages bloqués par les Français et, désormais, misérablement, au moins 40 noyades depuis début 2021.

Voici donc l’autre simple fait auquel les Britanniques devraient faire face – mais ne le feront pas.

La Manche et la France protègent la Grande-Bretagne des vagues successives de migration des Balkans, d’Asie et d’Afrique depuis près de trois décennies.

Les Français ont protégé la Grande-Bretagne en permettant au Royaume-Uni de déplacer de facto sa frontière sud vers le Pas-de-Calais.

La Manche l’a fait parce que les migrants avaient – ​​jusqu’à il y a trois ans – peur de la mer.

Une fois que les demandeurs d’asile ont surmonté cette peur – du désespoir parce que d’autres routes étaient bloquées – la tragédie d’hier est devenue inévitable. Blâmer les Français pour ce qui s’est passé a autant de sens que blâmer l’eau.

Les médias britanniques accusent la police française de se tenir à côté et de regarder les demandeurs d’asile grimper sur des canots et des kayaks. Il existe des preuves que cela se produit dans un ou deux cas. Les autorités françaises devraient enquêter et s’expliquer.

Mais en vérité, il serait impossible aux Français de policer chaque mètre des 100 kilomètres du littoral du Pas de Calais et du Nord sans d’immenses moyens.

La Grande-Bretagne a proposé de donner 50 millions de livres sterling supplémentaires en juillet, mais n’a jusqu’à présent pas remis un centime. Les responsables français estiment qu’il leur coûte déjà 120 millions d’euros par an pour « surveiller la frontière britannique », dont Londres ne couvre qu’environ 20 %.

Les gouvernements français et britannique accusent les gangs de passeurs qui opèrent des deux côtés de la Manche. Ce sont, en effet, des gens cyniques et sans cœur. Mais ils existent en grande partie parce que la Grande-Bretagne et la France ont rendu si difficile pour les demandeurs d’asile potentiels de traverser la Manche d’une autre manière.

Certains médias britanniques accusent les Français d’encourager les demandeurs d’asile à tenter leur chance en Grande-Bretagne, plutôt qu’en France. Emmanuel Macron a même été accusé d’être un autre Alexandre Loukachenko : manipuler les migrants à des fins politiques.

Tout cela n’a pas de sens. Depuis 2015, la France a absorbé 160 000 demandeurs d’asile, la Grande-Bretagne moins de 10 000.

La grande majorité des personnes qui franchissent chaque jour illégalement (et de manière invisible) les frontières terrestres en France sont des personnes parlant un peu français et ayant de la famille ou des contacts en France. Ils veulent rester en France.

Une minorité, les migrants de Calais, viennent en France parce qu’ils veulent rejoindre le Royaume-Uni. Une très petite minorité de cette minorité sont des personnes dont les demandes d’asile ont été rejetées dans les pays de l’UE.

Lorsque la police française nettoie les camps de fortune dans la région de Calais – confisquant des tentes et même des sacs de couchage – les migrants ont la possibilité de se rendre dans des refuges français ailleurs et de demander l’asile en France. Seule une poignée le fait.

Pourquoi sont-ils si déterminés à aller en Grande-Bretagne ? Parce qu’ils parlent un peu anglais ; ou ils ont des relations au Royaume-Uni ; ou ils ont été persuadés que le Royaume-Uni, sans carte d’identité, est un eldorado pour les migrants.

Après la catastrophe d’hier, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a appelé à de nouveaux efforts internationaux « durs » – c’est-à-dire UE plus Britannique – pour résoudre la crise permanente de Calais. Bonne chance avec ça.

D’autres voix en France – même le grand journal de centre-gauche Le Monde – suggèrent désormais qu’il est temps pour la France de lever les barrières et de laisser passer les migrants.

Le traité du Touquet de 2002 a déplacé la frontière sud anglaise à Calais pour la première fois depuis le 16e siècle. En conséquence, disent les voix, la France protège la Grande-Bretagne de son obligation internationale d’examiner les demandes d’asile et permet à la Grande-Bretagne de se soustraire à une obligation morale d’accepter une proportion raisonnable des dizaines de milliers de réfugiés/demandeurs d’asile/migrants arrivant en Europe.

La calamité survenue hier en Manche renforcera ces arguments.

Lever les barrières ne serait pas une décision facile pour le gouvernement français. Il serait dépeint en Grande-Bretagne comme un acte de guerre. Cela pourrait attirer encore plus de migrants à Calais.

J’ai longtemps pensé que c’était une fausse solution. Mais alors il n’y a pas d’autre solution évidente. Il faut faire quelque chose pour donner aux désespérés un espoir d’atteindre le Kent sans risquer leur vie.

Il est temps que la Grande-Bretagne mondiale se souvienne que la France – loin d’avoir créé la crise migratoire de Calais – a protégé la Grande-Bretagne d’une crise migratoire mondiale pendant des années.