Une enquête indépendante sur les abus sexuels présumés commis sur des mineurs par des prêtres, des diacres et d’autres membres du clergé catholique français a permis de découvrir quelque 216 000 victimes entre 1950 et 2020, un “phénomène massif” qui a été couvert pendant des décennies par une “chape de silence”.

Ce rapport historique, publié mardi après deux ans et demi d’enquête, fait suite à l’indignation générale suscitée par une série de plaintes pour abus sexuels et de poursuites contre des responsables de l’Église dans le monde entier.

Si l’on inclut les membres laïcs de l’Église, tels que les enseignants des écoles catholiques, le nombre de victimes d’abus sexuels s’élève à 330 000 sur une période de sept décennies.

“Ces chiffres sont plus qu’inquiétants, ils sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans réponse”, a déclaré le président de la commission d’enquête, Jean-Marc Sauve, lors d’une conférence de presse.

“Jusqu’au début des années 2000, l’Église catholique a fait preuve d’une indifférence profonde, voire cruelle, à l’égard des victimes”, a-t-il ajouté.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF) qui a co-demandé le rapport, a exprimé sa “honte et son horreur” face aux conclusions.

“Mon souhait aujourd’hui est de demander pardon à chacun d’entre vous”, a-t-il déclaré lors de la conférence de presse.

Le président de la commission, Jean-Marc Sauve, assiste à la publication du rapport de la commission sur les abus sexuels commis par des responsables ecclésiastiques.

Le président de la Commission, Jean-Marc Sauve, assiste à la publication d’un rapport de la commission d’enquête sur les abus sexuels commis par des responsables ecclésiastiques. Photo : THOMAS COEX / diverses sources / AFP.

Jean-Marc Sauve a dénoncé le “caractère systémique” des efforts visant à protéger le clergé des plaintes pour abus sexuels et a exhorté l’Eglise à payer des réparations même si la plupart des cas sont bien au-delà du délai de prescription pour les poursuites.

Le rapport, qui compte près de 2 500 pages, révèle que la “grande majorité” des victimes étaient des garçons préadolescents issus de milieux sociaux très divers.

“L’Église catholique est, après le cercle familial et amical, le milieu qui présente la plus forte prévalence de violence sexuelle”, indique le rapport.

Reconnaissance institutionnelle

M. Sauve avait déjà déclaré dimanche à l’AFP qu’une “estimation minimale” de 2 900 à 3 200 pédophiles avait opéré dans l’Église française depuis 1950.

Pourtant, seule une poignée de cas a donné lieu à des mesures disciplinaires en vertu du droit canonique, et encore moins à des poursuites pénales.

François Devaux, responsable d’une association de victimes, a dénoncé un “système déviant” qui nécessite une réponse globale dans le cadre d’un nouveau concile “Vatican III” dirigé par le pape François.

“Vous avez enfin donné une reconnaissance institutionnelle aux victimes de toutes les responsabilités de l’Église, ce que les évêques et le pape n’ont pas encore été prêts à faire”, a déclaré Devaux lors de la conférence mardi.

L’estimation des victimes s’appuie en grande partie sur une étude représentative menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), avec un “intervalle de confiance” statistique de 50.000 personnes en plus ou en moins.

Sauve et son équipe de 21 spécialistes, tous non affiliés à l’Église, ont également interrogé des centaines de personnes qui se sont présentées pour raconter leur histoire.

“Si la voile de silence couvrant les actes commis a enfin été déchirée… nous le devons au courage de ces victimes”, écrit-il. “Sans leur témoignage, notre société serait encore dans l’ignorance ou le déni de ce qui s’est passé”.

La commission a également eu accès aux dossiers de la police ainsi qu’aux archives de l’Église, ne citant que deux cas de refus des institutions ecclésiastiques de remettre les documents demandés.

Dans l’ensemble, elle a constaté que 2,5 % du clergé français depuis 1950 avait abusé sexuellement de mineurs, un ratio inférieur aux 4,4 à 7 % découverts par des enquêtes similaires dans d’autres pays

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Alors que cela impliquerait un nombre inhabituellement élevé de victimes par agresseur, “un prédateur sexuel peut en fait avoir un nombre élevé de victimes, en particulier ceux qui s’attaquent aux garçons”, selon le rapport.

Pour le président de la commission, M. Sauve, qui a été jusqu’à sa retraite l’un des plus hauts fonctionnaires de France, l’enquête a touché de près sa famille.

Peu de temps après avoir accepté le poste, il a reçu une lettre d’un ancien camarade de classe de son internat, racontant les abus subis de la part du prêtre qui leur donnait à tous deux des leçons de musique.

Sauve a déclaré au journal Le Monde le mois dernier que sa commission a découvert que le prêtre – qui a ensuite quitté l’école sans avertissement – avait abusé de dizaines d’autres personnes.