Il est rare que l’histoire de la publication d’un livre soit aussi fascinante que l’intrigue du roman lui-même.

C’est le cas de “Guerre” de Louis-Ferdinand Céline, l’une des figures littéraires les plus célèbres et les plus controversées de France, qui arrive en librairie le jeudi 5 mai, 78 ans après la disparition du manuscrit.

Une nouvelle exposition qui s’ouvre le même jour a pour but d’explorer l’histoire des manuscrits perdus de Céline et comment ils ont été redécouverts des décennies plus tard.

Qui était Louis-Ferdinand Céline ?

La réputation de Céline a survécu malgré le fait qu’il ait été l’un des plus ardents collaborateurs de la France avec les nazis.

Déjà une superstar grâce à son premier roman “Voyage au bout de la nuit” (1932) – qui est toujours enseigné dans les écoles – Céline est devenu l’un des plus ardents propagandistes antisémites avant même l’occupation de la France.

En juin 1944, alors que les Alliés avançaient sur Paris, l’écrivain a été contraint d’abandonner une pile de ses manuscrits dans son appartement de Montmartre.

Céline s’attendait à être traité durement, ayant passé la guerre à fricoter avec la Gestapo, à livrer des Juifs et des étrangers aux autorités et à publier des pamphlets racistes sur les conspirations juives dans le monde.

Pendant des décennies, personne n’a su ce qu’il était advenu de ses papiers, et il a accusé avec colère les résistants de les avoir brûlés.

Mais à un moment donné dans les années 2000, ils ont atterri chez le journaliste retraité Jean-Pierre Thibaudat, qui les a transmis de manière totalement inattendue aux héritiers de Céline l’été dernier.

Tirage et tracé

Malgré cette histoire troublante, les critiques du roman de 150 pages qui en résulte, ‘Guerre’, publié par Gallimard, ont été unanimes dans leur éloge.

“La fin d’un mystère, la découverte d’un grand texte”, écrit Le Point ; un “miracle”, dit Le Monde ; “époustouflant”, jubile Le Journal du Dimanche.

Gallimard prévoit des ventes massives : 80 000 exemplaires ont été imprimés pour la sortie de jeudi.

La maison d’édition n’a pas encore dit s’il y aura des traductions.

Comme la plupart des œuvres de Céline, “Guerre” est profondément autobiographique, racontant ses terribles expériences pendant la Première Guerre mondiale.

Il s’ouvre sur le brigadier Ferdinand, 20 ans, qui se retrouve miraculeusement en vie après s’être réveillé sur un champ de bataille belge, et suit son traitement et son départ précipité pour l’Angleterre – le tout basé sur les expériences réelles de Céline.

Si les critiques français semblent étrangement réticents à s’attarder sur l’antisémitisme de Céline, c’est en partie parce que ses premiers écrits (on pense que “Guerre” date de 1934) en montrent peu de signes.

Voyage au bout de la nuit ” a été un succès parmi les progressistes pour son message anti-guerre, ainsi que pour son style cru et argotique qui faisait un pied de nez aux sensibilités bourgeoises.

L’attitude de Céline à l’égard des Juifs ne se révèle qu’en 1937 avec la publication d’un pamphlet, ‘Bagatelles pour un massacre’, qui l’engage sur la voie de la haine raciale et du complot.

Il n’a jamais fait marche arrière. Après la guerre, il a lancé une campagne de négation de l’Holocauste et a cherché à brouiller les pistes concernant ses propres exploits pendant la guerre – ce qui lui a permis de revenir en France sans avoir à subir de répercussions.

Dévoiler ce qui est arrivé à manuscrits de Céline

Une exposition sur la découverte des manuscrits s’ouvre jeudi à la Galerie Gallimard et comprend les feuilles originales, écrites à la main, de ‘Guerre’.

Elles se terminent par une phrase typique de Céline : “J’ai pris la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête.”

Dans les dernières années avant sa mort en 1961, Céline n’a cessé de déplorer la perte de ses manuscrits.

Dans l’exposition, une citation de lui est affichée au mur : “Ils les ont brûlés, presque trois manuscrits, les justiciers purgeurs de parasites !”.

C’est une occasion – pas la seule – où il a été prouvé qu’il avait tort.

Regardez la vidéo ci-dessus pour découvrir la nouvelle exposition de la galerie Gallimard.