La stérilisation des femmes handicapées est légale en France après la modification de la loi en 2001. Bien qu’interdite par la Convention d’Istanbul, elle n’est criminalisée que dans 9 pays de l’UE.

Dans une petite clinique gynécologique de Paris, Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme, accueille une nouvelle patiente.

C’est une jeune femme, autiste et non verbale. Elle vient avec sa mère et une sage-femme travaillant dans l’institution pour personnes handicapées où elle est sur le point d’être admise.

Ils demandent que ses trompes de Fallope soient attachées bien qu’elle n’ait jamais eu de relations sexuelles.

La consultation se passe bien. Idiard-Chamois procède à un examen externe.

La femme, incapable de parler à cause de son handicap, n’exprime aucun désaccord. Mais Idiard-Chamois se sent inquiétée par sa collègue, la sage-femme de l’établissement où vit la femme, qui s’étonne que la demande de stérilisation soit refusée.

Même si ce n’est pas officiellement précisé, “ces institutions imposent toujours aux résidents de prendre des contraceptifs”, explique Idiard-Chamois, car “cela évite les problèmes”. Dans plus de 100 cas qu’elle a traités, les femmes qui vivaient dans des institutions prenaient une forme quelconque de traitement contraceptif.

“C’est l’Institution qui donne la pilule aux femmes. Elle est prescrite par un psychiatre, même pas un médecin spécialisé. Ils donnent la même pilule à toutes sans examen gynécologique”, dit-elle.

Idiard-Chamois a ouvert la seule clinique en France spécifiquement pour les femmes handicapées à L’Institut Mutualiste Montsouris à Paris en 2015.

Depuis, elle a vu plus de 700 patients et reçu une demi-douzaine de demandes de stérilisation pour des personnes handicapées vivant sous tutelle, “principalement de leurs parents”, a-t-elle souligné.

Elle essaie toujours de les dissuader et de proposer des alternatives “moins violentes et permanentes”.

Dans le cas de cette jeune femme, sa mère et son tuteur légal ont accepté l’une de ces alternatives, mais ce n’est pas toujours le cas.

“On soupçonne qu’il y a probablement des stérilisations réalisées sans véritable consentement, à la demande des familles qui s’arrangent avec le gynécologue”, indique le Dr Catherine Rey-Quinio, médecin-conseil de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France.

Rey-Quinio dit avoir reçu en moyenne deux à quatre demandes de stérilisation par an au cours de la dernière décennie, mais seulement deux au cours des quatre dernières années. Les deux ont eu lieu en 2021 et ont bénéficié du soutien du comité régional d’experts qui évalue chaque demande de stérilisation.

Euronews a adressé une demande à toutes les Agences régionales de santé françaises qui n’ont pas partagé leurs données.

Les seules statistiques officielles recueillies au niveau national remontent à 1998. Selon un rapport de l’Inspection générale du secteur social (IGAS), environ 500 femmes handicapées seraient soumises de force à des ligatures des trompes chaque année.

Est-il possible de s’assurer du consentement ?

“C’est clair, si une femme dit non, c’est non”, assure Didier Seban. L’avocate, travaillant chez Seban Avocats, souligne que la partie la plus importante de la loi est de s’assurer du consentement des femmes handicapées.

Le juge doit s’assurer que la personne sous tutelle a compris la démarche et l’accepte.

Mais est-il facile de s’assurer du consentement ? Surtout quand le handicap de la femme l’empêche de l’exprimer oralement.

C’est à ce stade que des abus peuvent se produire.

“Soyons réalistes. Quand le handicap mental est grave, les femmes ne comprennent pas ce qu’on dit, elles ne parlent pas, parfois elles bougent même très peu, donc on sait très bien qu’elles n’ont pas leur mot à dire », explique Ghada Hatem, gynécologue travaillant pour le comité. d’experts qui évaluent chaque demande de stérilisation.

C’est pourquoi “on demande aux parents ou aux tuteurs quand cela nous semble raisonnable”, avoue-t-elle.

Bien que l’avis de la commission – composée de gynécologues, de psychiatres et d’associations – ne soit pas contraignant, Hatem affirme que le juge ne va presque jamais à l’encontre de leur avis.

Avant la stérilisation, les experts doivent s’assurer que toute autre méthode de contraception peut être utilisée. Cependant, le gynécologue réfute cet argument.

“A quoi bon faire quelque chose qui ne soit pas irréversible ? Si on savait que dans cinq ans son handicap serait guéri et qu’elle pourrait s’occuper de son enfant de façon autonome. Mais ce n’est pas vrai, alors à quoi bon choisir quelque chose qui doit être renouvelé périodiquement ?”, argumente-t-elle.

“On ne peut pas rêver”, acquiesce le Dr Rey-Quinio, qui coordonne depuis Paris le comité d’experts d’Ile-de-France.

La décision médicale dans ces cas est basée sur “ce que nous considérons comme le bénéfice-risque de l’intervention pour le patient”.

C’est ce qui est arrivé en 2016 à l’un des patients d’Idiard-Chamois. Le gynécologue travaillant avec la sage-femme a signé la recommandation au juge de stériliser une fille incapable d’exprimer sa volonté.

C’est la seule demande de stérilisation qu’ils ont acceptée depuis l’ouverture de leur clinique. La sage-femme dit qu’elle n’était pas d’accord et qu’elle n’a pas signé.

“La patiente était une jeune femme pour qui l’implant contraceptif n’avait pas fonctionné et sa mère nous harcelait sans cesse pour que nous signions l’autorisation”, se souvient-elle, agacée qu’ils n’aient pas pu obtenir le consentement de la patiente.

Cet article a été réalisé avec le soutien de Journalismfund Europe.