Alors que la ville de Vienne se réveille un samedi de printemps, les commerçants du marché sortent leurs marchandises. Et il y a un visage que vous êtes assuré de voir parmi les premiers visiteurs.

Philippe Girardon a été nommé Meilleur Ouvrier de France en 1997 pour ses compétences culinaires exceptionnelles.

Quand je le rattrape, il achète des courges. “Vous pouvez utiliser la peau de celui-ci. C’est très savoureux, comme une noisette”, dit-il en tendant une poignée d’euros à un homme en manteau épais que j’aimerais pouvoir emprunter. “Je vais cuisiner du poulet avec ça et faire du bouillon. Le poulet vient d’un gars du coin. Très bon poulet.”

Il se promène dans un coin, saluant les gens au passage et s’arrêtant parfois pour bavarder. Le soleil monte suffisamment haut pour que nous atteignions un camion de fromage.

“Cet homme est à 20 minutes d’ici. Ils ont environ 80 animaux. Très bon fromage.”

Il m’en dit plus sur les ingrédients indigènes de la région.

Il existe un petit fromage de chèvre aux arômes subtils de noisette, de champignons et de beurre qui s’appelle La Rigotte de Condrieu. « Rigot » fait référence aux petits ruisseaux qui dévalent les pentes du massif du Pilat où il est produit.

Le ‘cerisier Burlat’ porte le nom de Léonard Burlat, arboriculteur amateur qui, en 1915, remarqua un cerisier sauvage dans une haie, près de l’usine où il travaillait à Lyon, puis le greffa sur un cerisier de son verger en Loire -sur-Rhône. Une décennie plus tard, il présente le fruit de son travail à la Société pomologique de France, qui confirme son triomphe.

Girardon signale un neufchatel en forme de cœur. “Certaines personnes ramènent des fleurs pour leurs femmes, j’apporte ça. Mais je ne fais pas d’erreurs.”

Girardon appelle ce marché son « inspiration ».

C’est romantique. La vision d’un chef brillant et célébré parmi les siens, connaissant ses fournisseurs, créant des plats dans sa tête au passage d’une autre sélection de courges, d’un océan d’endives, de chèvres cendrés de l’Isère.

Il croise le maire et ils ont une longue conversation pendant que j’entre dans un café du coin pour une boisson chaude en compagnie d’aînés qui s’échauffent pour un match de pétanque crunch plus tard dans la journée.

Je reviendrai avec Philippe pour le déjeuner.

Gastronomie et emplacement

La vallée du Rhône se situe entre la porte est de la France vers le sud, Lyon, et la Méditerranée. La région possède certains des vins les meilleurs et les plus connus au monde et est une destination incontournable pour les gourmets.

Et bien que l’extrémité nord de cette immense bande de terre soit encore relativement inconnue, elle est en fait imprégnée d’histoire et de gastronomie depuis 2 000 ans.

Avant que les Romains ne s’installent sur les rives du Rhône dans l’actuelle Vienne, la ville était une importante colonie pour une tribu celtique appelée les Allobroges. En 121 avant notre ère, les Romains sont arrivés et y sont restés environ 400 ans. En effet, l’impressionnant temple du centre-ville date du 1er siècle de notre ère.

Juste en face de la rivière de Vienne se trouve Saint Roman en Gal, qui abrite un musée extraordinaire consacré à la période romaine du développement de la vallée du Rhône en tant que centre culturel, port de commerce et civilisation.

Des mosaïques complexes au sol et de grandes fresques illustrant la vie quotidienne et les passe-temps de la Gaule antique sont exposées dans les salles spacieuses de ce musée divertissant, mais la vraie joie est de descendre une rampe vers les fouilles à l’extérieur.

Un espace de sept hectares s’étend devant vous au fur et à mesure que la ville découverte se dessine. Vous marchez sur la route de pierre d’origine, sautez par-dessus les trous d’homme qui mènent au système d’égouts pionnier et émerveillez-vous devant la vue d’une villa vieille de deux millénaires reconstituée.

Mais il aurait si facilement pu ne jamais être retrouvé.

En 1967, les autorités locales étaient sur le point de construire une école ici. Les historiens savaient très bien que cette zone avait été occupée durant l’Antiquité, mais ils n’avaient envisagé qu’un ensemble d’habitations disséminées sur les berges du fleuve.

Mais à leur énorme surprise et joie, lorsque les archéologues ont commencé le projet de fouilles, ils ont découvert les vestiges d’une ville entière.

En revenant vers le musée, un grand fac-similé d’un pressoir à vin romain vous rappelle l’un des principaux centres d’intérêt de cette époque, et de retour à l’intérieur, vous trouverez la maquette d’un bateau transportant des amphores.

Il existe une corrélation claire entre profiter de la vie et profiter de la gastronomie il y a toutes ces années. Et les habitations sur les rives vibrantes de ce fleuve étaient de grands foyers de convivialité. Les verres à vin et les plats sont représentés aux côtés de personnes joyeuses dans les illustrations et les sculptures de l’époque, et notre bon ami Bacchus, le dieu du vin, se cache toujours quelque part d’un air menaçant.

Chaque mois de septembre, le festival Vinalia sur le site est dédié à la reconstitution des vendanges romaines et de la cuisine antique. Les visiteurs peuvent participer aux différentes étapes de l’élaboration du vin, déguster des plats typiques de l’époque et, bien sûr, se désaltérer.

Le vin de cette région est peut-être moins connu que son Rhône Sud voisins. Mais ça mérite d’être au moins sur le même pied. Le nectar des Dieux est fabriqué dans la vallée du Rhône bien avant l’arrivée des Romains, les pentes dominant le fleuve sinueux offrant une topographie parfaite pour la viticulture.

Un nom que vous entendrez est Côte-Rôtie, qui signifie « pente rôtie ». Ces falaises de granit qui s’effritent marquent le pays de la Syrah. C’est le seul cépage rouge que l’on trouve pour une production sérieuse dans le Rhône septentrional. Les cépages blancs Viognier, Marsanne et Rousanne ont leur propre charme et trouvent également leur parfaite expression parmi les perchoirs en terrasse, là où se trouve la meilleure exposition solaire.

Le nom de Guigal est synonyme de Côte-Rôtie et vous ne pouvez pas manquer l’énorme panneau en vous dirigeant vers Ampuis. Ils ont une salle de dégustation au Caveau du Château à Ampuis même, qui intègre également un musée du vin.

Depuis les efforts de vinification et de commercialisation de Marcel Guigal dans les années 1980, cette appellation est devenue moins une niche dans l’industrie du vin et a trouvé sa place sur la table mondiale des vins. Guigal a commencé à embouteiller à la vigne, une pratique utilisée en Bourgogne.

Il a également augmenté le vieillissement en fûts de chêne à trois ans et demi. Les vins obtenus sont caractérisés par la finesse et peuvent être extrêmement chers, même une bouteille d’entrée de gamme pèse environ 40 €.

Mais il existe un certain nombre d’alternatives beaucoup moins chères qui se qualifient pour le statut de Côtes de Rhône, qui sont incroyablement buvables pour une fraction du prix d’un Côte-Rôtie ou d’un Condrieu. Cette dernière est une appellation entièrement blanche élaborée exclusivement à partir de Viognier. Il est extrêmement floral avec un nez qui s’apparente dans certains cas au gâteau.

Si vous êtes de passage dans la région, les occasions ne manquent pas de s’arrêter et de déguster quelques vins afin de comprendre le terroir. L’un des plus sympathiques est le Domaine Corps de Loup, qui propose une gamme de vins restreinte mais significative, notamment des vins de Côte-Rôtie et de Condrieu.

Le vin, comme nous le savons, va mieux avec la nourriture, et s’ils sont tous les deux locaux, vous avez décroché le jackpot. Les colons romains ont réalisé que cette terre leur donnait tout ce dont ils avaient besoin, et c’est encore vrai aujourd’hui.

Au Domaine Clairefontaine, le Chef Philippe Girardon a son propre empire. Un restaurant étoilé Michelin, un bistrot et une offre d’hébergements.

“Aimez-vous la truffe?” il demande. Et ce qui s’ensuit est un menu spécial truffes à retenir pour toujours.

La pièce lumineuse est aujourd’hui éclairée par le soleil éclatant qui pénètre à travers de hautes fenêtres, mais cette luminosité est renforcée par des meubles, des cadres et des accessoires au design contemporain tout en possédant la stabilité d’une histoire établie. Les luminaires où la source lumineuse est occultée invitent à la réflexion, à l’image de la cuisine de ce chef minutieux mais accrocheur.

Il y a une pureté à l’œuvre ici. Une concentration sur la mise en valeur de la saveur de l’ingrédient vedette de chaque plat. Le carpaccio de pétoncles est rehaussé de citron Calamansi, d’huile de truffe et d’un sorbet aux pommes Granny Smith magnifiquement acide. La quenelle Blue Lobster de Girardon était une prouesse d’amplification renversante, rendant hommage au Homard de la manière la plus complète.

Celui-ci est accompagné d’un Condrieu Clos Poncins 2020. Une grande finale cireuse pleine d’oranges confites et de miel garantit que ce vin ne se perd pas sur le fond marin.

Mais que serait un déjeuner étoilé Michelin sans une pointe d’innovation ?

A l’aide d’un moule imprimé en 3D, créé à partir d’une grosse truffe, Girardon et son équipe ont mis de la magie pour le dessert. Intitulée simplement ‘A Truffle Mousse’, la truffe bat l’œil et vous cassez la coque en chocolat avec un cri d’admiration.

En sortant de la salle à manger principale, je vois trois familles qui viennent également de déjeuner. Ils se détendent et regardent un match de rugby des Six Nations. À l’époque romaine, juste à cet endroit, cela aurait pu être un match de lutte.

Son service terminé, Philippe discute avec les adultes et les enfants, puis se place au fond de cette antichambre, bras croisés, regardant la télé. Je soupçonne qu’il n’a qu’un œil sur les familles, sur la satisfaction qu’il a créée. Ses choix de mets et de vins ont inspiré la convivialité et prouvé que la gastronomie peut être pour tout le monde.