AVIS : Une présidence Le Pen en France serait un plus grand désastre que le Brexit ou Trump

Marine Le Pen, candidate au Rassemblement national. Photo par Ludovic MARIN / PISCINE / AFP

La campagne présidentielle s’est endormie pendant de longues semaines. Dans les derniers jours avant le premier tour de ce dimanche, il ne s’est pas tant réveillé qu’il a entamé un somnambulisme vers une calamité.

Une victoire de Marine Le Pen au deuxième tour le 24 avril est loin d’être certaine. Je continue de croire que c’est peu probable. Il ne peut plus être actualisé.

Ce serait sans doute un plus grand désastre pour la France que le Brexit ne l’a été pour la Grande-Bretagne ou que Donald Trump ne l’a été pour les États-Unis.

Le Pen – rappelons-le – veut faire de Vladimir Poutine un allié, discriminer les étrangers, interdire aux femmes musulmanes de porter le foulard en public, désobéir aux règles de l’UE et suspendre certains paiements français de l’UE. Son programme économique est incohérent et contradictoire. Personne dans son parti au bord de la faillite ne pouvait gérer un stand de bulots, encore moins un ministère.

L’arithmétique électorale est étrange. Il y a certainement une majorité dans le pays qui aimerait se défaire du président Emmanuel Macron.

Je doute qu’il y ait une majorité qui veuille réellement que Marine Le Pen – pro-Poutine, anti-européenne, politiquement rusée mais fondamentalement paresseuse et incompétente – devienne présidente de la République à un moment où la France et l’Europe font face à un approfondissement et à une longue crise économique sur l’Ukraine.

La France est, en quelque sorte, hissée sur la fragilité et les dangers de son système électoral binaire et sa tendance pathologique à détester le dernier homme politique national qu’elle a élu. Aucun président n’a été réélu depuis 20 ans ; aucun gouvernement n’a été renversé par les électeurs depuis 1978.

Une « alternance » permanente entre droite molle et gauche molle semblait anodine jusqu’à ce que le pays en ait marre des échecs en série des deux. Les anciennes « familles » gouvernantes de gauche et de droite détiennent actuellement 10 % du vote national à elles deux – 2 % pour le Parti socialiste de centre gauche et 8 % pour les Républicains de centre droit.

Leur disparition a laissé le choix entre une tentative mal comprise et mal vendue mais partiellement réussie de réformer le statu quo et une destruction mal pensée du consensus français tolérant et pro-européen d’après-guerre.

La France votera probablement au deuxième tour le 24 avril pour a) un extrémiste incompétent se faisant passer pour la mère de la nation sympathique et pragmatique ou b) un jeune président qui est – à tort selon moi – largement détesté comme une marionnette de Les grandes entreprises internationales et les «riches» détestés.

Macron a commis de nombreuses erreurs au cours des cinq dernières années, mais il a ramené le chômage à son plus bas niveau en près de deux décennies (7,4%). La réponse des électeurs français ? Reconnaissance? Reconnaissance? Le chômage, autrefois la préoccupation numéro un ou numéro deux des électeurs, a glissé à 14e.

Il y a juste une possibilité que le candidat d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, devance Le Pen pour une place dans le second tour. Si tel est le cas, tous les sondages suggèrent que Macron le battrait facilement.

Ce n’est pas le cas s’il affronte Le Pen. Plus maintenant.

Un sondage ne donne désormais à Macron qu’une avance de 2 points au deuxième tour. La moyenne de tous les sondages lui donne une avance de huit points – 54 % contre 46 %. Il y a un mois, son avance sur Le Pen était de 12 points.

Au premier tour de dimanche, l’avance moyenne de Macron est désormais de 5 points – 27 % pour lui, 22 % pour Le Pen et 16 % pour Mélenchon. Tous les neuf autres sont en chiffres simples. Il y a un mois, Macron était à 30 % et Le Pen à 16 %.

Que diable s’est-il passé ?

À certains égards, les chiffres sont trompeurs. Le candidat d’extrême droite rival de Poutine, Eric Zemmour, s’est effondré depuis que la Russie a envahi l’Ukraine. De 16 % en janvier, Zemmour est maintenant tombé à 8-9 %. Ses votes sont revenus à Le Pen. Dans l’ensemble, le vote d’extrême droite reste inchangé à 32-34 %.

Macron est tombé de son pic de 31% après l’invasion, le ralliement au drapeau. Mais il reste en avance sur sa moyenne à long terme pré-ukrainienne de 23-24 %.

La « poussée » de Le Pen est donc en partie une illusion mais la dynamique est le plus grand atout de la politique électorale. L’élan crée l’élan.

Le nombre de personnes déclarant qu’elles voteront définitivement dimanche est passé de 67% à 71% dans certains sondages. Les électeurs supplémentaires pourraient bien être pondérés vers les catégories sociales les plus jeunes, les plus pauvres et les moins éduquées qui se présentent à contrecœur mais votent massivement pour Le Pen s’ils le font.

Il y a quelques semaines, alors que Macron était loin devant, ils ne voyaient aucune raison de voter. Maintenant, ils le font.

Il faut dire aussi que Le Pen a mené une campagne habile et que Macron a manqué d’énergie et de concentration depuis qu’il s’est arraché tardivement à la crise ukrainienne et s’est officiellement engagé dans la course.

Le Pen a choisi les prix élevés et les bas salaires comme champ de bataille bien avant que la crise ukrainienne ne fasse monter en flèche les prix du carburant et de certaines denrées alimentaires. Contrairement à Zemmour, elle n’a souffert que brièvement (jusqu’à présent) de la sauvagerie russe en Ukraine et de son idolâtrie de longue date envers Poutine.

Elle avait initialement voulu faire de son amitié avec le cher Vladimir un argument de vente. Il y avait une photo de Poutine dans un tract de campagne de Le Pen qui a dû être déchiquetée par milliers.

La campagne de Macron ne fait que commencer à rappeler aux électeurs l’axe Le Pen-Poutine et que, même maintenant, elle désapprouve les sanctions sévères contre la Russie et les livraisons d’armes à l’Ukraine.

Macron, jusqu’à ces derniers jours, a mal évalué sa campagne, soit par excès de confiance et épuisement, soit par une combinaison des deux. Il montre enfin un certain appétit pour le combat.

C’est l’une des raisons de croire que la campagne de deux semaines du deuxième tour aura une ambiance et une dynamique différentes. Le bagage Poutine de Le Pen va refaire surface. L’incohérence de son programme économique se précisera.

Malgré les discussions sur la disparition du «Front républicain» pour geler l’extrême droite, les dirigeants de gauche et de droite (à quelques exceptions près) s’entasseront derrière Macron et contre Le Pen au second tour.

Au premier tour, les électeurs français se font plaisir. Au second tour, ils choisissent la personne qui semble la mieux armée pour être chef de l’État (qui peut alors être détestée pendant les cinq prochaines années).

Tout dépend des scores du premier tour. Si Le Pen est juste derrière Macron ou arrache la première place, son élan sera maintenu. S’il a 3 ou 4 points d’avance, son élan peut être freiné.

Prédiction : je pense que Macron sera réélu mais ce sera tristement proche.