AVIS : On ne gèlera pas cet hiver, mais la France est loin d'avoir résolu ses problèmes nucléaires

Le secteur nucléaire français est aux prises avec de nombreuses centrales incapables de produire de l’électricité en raison de problèmes techniques. Photo de FREDERICK FLORIN / AFP

Voici quelques bonnes nouvelles. On ne va pas forcément geler chez soi dans le noir cet hiver. Les perspectives énergétiques en France, et en Europe, cet hiver se sont énormément améliorées.

Après une bousculade pour remplacer le gaz russe par des importations en provenance des États-Unis, du Moyen-Orient et d’ailleurs, il semble qu’il y aura beaucoup de gaz pour chauffer les foyers européens et stimuler l’industrie européenne.

Les stocks de gaz dans l’Union européenne ont atteint 93 % de leur capacité – et 99 % en France. Les prix de gros du gaz ont chuté de 70 % au cours des deux derniers mois.

La météo est aussi de notre côté – pour l’instant. Ce sera . Le bulletin de Météo France annonce un mois de décembre plutôt froid mais, dans l’ensemble, un hiver doux.

Une incertitude demeure : la France peine toujours à ramener ses centrales nucléaires en difficulté à leur capacité normale.

Il y a aussi de bonnes nouvelles sur ce front. Une grève intermittente pour des salaires plus élevés qui a retardé le programme de réparation et d’entretien du nucléaire français, déjà en retard, a été résolue.

Electricité de France (EDF) et la Confédération générale du travail (CGT) ont conclu un accord qui augmentera de 10 % les salaires des travailleurs les moins bien payés.

L’autre – bien plus médiatisée – grève menée par la CGT dans les raffineries et dépôts de pétrole n’est pas tout à fait terminée. Deux raffineries françaises sur sept sont toujours bloquées, pour les stations-service des régions parisiennes, lyonnaises et marseillaises.

Mais qu’en est-il de l’électricité ? Existe-t-il encore une menace de black-out en France cet hiver ?

J’ai demandé à John Carr, un physicien des particules britannique à la retraite vivant dans le sud de la France, qui gère un site Web qui surveille les problèmes nucléaires et les fluctuations de l’alimentation électrique en France. Pour voir le site allez ici et ici.

Il a déclaré : « Je n’ai pas encore décidé si je devais acheter des appareils de chauffage à la paraffine. Je vais attendre un mois mais vérifier les stocks (de radiateurs) fin novembre. C’est clairement à la limite. »

Contexte : l’industrie nucléaire française autrefois vantée – qui fournit habituellement 80 % de l’électricité du pays avec un excédent pour les exportations – est en pagaille. Des travaux de maintenance retardés à cause de la pandémie de Covid et des défaillances des systèmes de refroidissement d’une dizaine de réacteurs ont mis à l’arrêt plus de la moitié de la filière nucléaire française cet été.

Par malchance ou mauvais jugement, le vide électrique français a coïncidé avec la pénurie d’électricité en Europe – et une flambée des prix de gros – causée par la guerre en Ukraine.

Il existe 56 réacteurs nucléaires français. Trente travaillent actuellement. Huit autres devraient être mis en ligne d’ici la fin novembre. La France a, ces derniers jours, cessé d’importer de l’électricité et a recommencé à exporter.

Il sera cependant difficile de savoir si la France a suffisamment d’électricité pour garder toutes les lumières allumées lorsque la demande de pointe sera atteinte en décembre-février. La branche fourniture d’électricité d’EDF pourrait à nouveau acheter à l’étranger mais les pays voisins, dont la Grande-Bretagne et l’Allemagne, seront également proches de leurs limites de capacité. Ils n’ont peut-être pas beaucoup de pouvoir pour vendre.

John Carr a déclaré: «J’ai commencé à surveiller la situation début septembre. Les redémarrages des réacteurs se sont déroulés plus ou moins comme prévu jusqu’à fin septembre, puis les grèves ont commencé… La plupart des « dates de redémarrage actualisées » ont (maintenant) un mois de retard. Aujourd’hui, nous avons une génération de 30 gigowatts (milliards de watts) et nous devrions avoir 40 GW. ”

Selon les prévisions actuelles, calcule John, la France devrait atteindre une capacité de 53 GW d’ici la fin décembre. La production réelle est généralement inférieure de 10 % à la pleine capacité. La production pourrait donc être inférieure d’environ 2 GW à ce dont le pays a besoin au milieu de l’hiver dans une année moyenne.

Le temps chaud, les importations et la “sobre consommation d’énergie” recherchée par le gouvernement pourraient faire la différence, sinon, il y aura des coupures d’électricité sélectives.

La crise de l’électricité a de nombreuses causes. La direction sortante d’EDF accuse les gouvernements français successifs, dont le président Emmanuel Macron, de tergiverser sur la politique nucléaire. Ce n’est que juste avant les campagnes électorales de cette année que le président Macron a annoncé des plans pour une nouvelle génération de réacteurs.

Le gouvernement accuse EDF de ne pas avoir maintenu ses réacteurs en meilleur état. Le géant de l’électricité appartient déjà à 83,7% à l’État, mais Macron a décidé de racheter les actions restantes pour ramener EDF sous le contrôle total de l’État.

Un autre problème a été les retards répétés dans l’achèvement d’un grand réacteur EPR de nouvelle génération à Flamanville en Normandie – qui devrait finalement ouvrir l’année prochaine, avec 11 ans de retard sur le calendrier initial. Ceci est similaire au réacteur qu’EDF construit à Hinkley Point dans le Somerset, dont l’ouverture est prévue en 2027, avec deux ans de retard.

Des leçons à retenir ? L’énergie nucléaire est lourde, politiquement, techniquement, écologiquement. Mais on ne peut pas s’en passer.