The Shift Project est un groupe de réflexion français qui milite pour le passage à une économie post-carbone. En tant qu’association à but non lucratif attachée à l’objectivité scientifique, elle se consacre à informer et à influencer le débat sur la transition énergétique en Europe. Ici, le coordinateur aux Affaires européennes, Laurent Hubert, analyse l’agenda environnemental de la candidate d’extrême droite Marine Le Pen.

A quelques jours du dernier tour de l’élection présidentielle en France, les deux finalistes, Marine Le Pen et Emmanuel Macronavez-vous des propositions qui abordent et combattent de manière adéquate la crise climatique ?

C’est la question que nous nous posons tous. Et, en bref, la réponse est non.

Concentrons-nous donc sur la candidate d’extrême droite Le Pen et analysons s’il y a une substance derrière ses promesses vertes.

Alors que les préoccupations climatiques prennent de plus en plus d’importance sur la scène politique française, Le Pen a dû renforcer son agenda écologique – par rapport à sa position en 2012 et 2017.

Elle prétend soutenir neutralité climatique d’ici 2050 en France. Mais il y a une multitude de lacunes, d’incohérences et de mesures clés qui manquent à son programme, qui ne parvient pas à fournir un cadre national crédible et réalisable stratégie de décarbonisation.

Quel est le regard de Marine Le Pen sur l’énergie ?

La proposition clé de Le Pen pour le climat et l’énergie repose sur l’augmentation de la production de électricité bas carbonequi vise à atteindre 940 TWh d’ici 2050. Donc, en termes simples, c’est 65 % de plus qu’aujourd’hui.

Pouvoir nucléaire est la pierre angulaire de cette stratégie.

Tout dépend du lancement de cinq paires de réacteurs nucléaires (réacteurs pressurisés européens ou EPR) à partir de 2031 et cinq autres d’ici 2036, ce qui porterait la durée de vie des centrales nucléaires à 60 ans.

Bien que l’électricité décarbonée issue de l’énergie nucléaire soit un atout pour le mix électrique français, le plan de Le Pen révèle deux lacunes flagrantes.

Premièrement, il ne prend pas en compte les actions à court terme nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’énergie, telles que la décarbonisation du mix électrique actuel.

Pire, elle décourage activement énergie renouvelable développement. Elle veut empêcher le secteur de l’énergie éolienne de progresser davantage en réduisant tout soutien public à son égard – et même en démantelant les éoliennes existantes dans le processus. Les grands acteurs du renouvelable (EDF, GIFEN, SFEN, CEA) ont déclaré publiquement que si Le Pen devient président, les capacités industrielles seront extrêmement limitées d’ici 2050.

Lorsqu’il s’agit de toute sorte de stratégie industrielle ou de la façon de traiter les travailleurs qualifiés dans le domaine de l’énergie, elle n’en parle même pas et c’est une lacune flagrante que nous devons tous voir.

Au-delà de l’électricité, Le Pen appelle aussi à une “la révolution de l’hydrogène” pour les secteurs en difficulté d’électrification. Mais elle omet d’expliquer sa faisabilité en termes d’infrastructures, de feuille de route industrielle, d’emplois et de compétences, de recherche ou d’innovation.

Dans le même temps, son projet de baisse des taxes sur les énergies fossiles, considéré comme une « aberration sociale », pourrait provoquer une augmentation de la consommation de carburants. Ce serait dangereux car ce serait en contradiction directe avec son plan de décarbonisation, ses projets de sevrer du pétrole russe et ses supposés objectifs de réduction de consommation de gaz.

Le Pen a-t-il un plan pour l’industrie et les bâtiments plus verts ?

Le Pen prévoit de “relocaliser” l’industrie française et de doubler sa part du PIB par rapport à aujourd’hui – jusqu’à 20% d’ici 2050. Elle dit que c’est afin de réduire les “émissions importées” de la France et sa dépendance à l’égard des économies étrangères.

Ainsi, les procédés industriels seraient décarbonés grâce au développement de la filière hydrogène. Mais en parallèle, un plan de rénovation massive des bâtiments est proposé, privilégiant l’installation de pompes à chaleur, “sous réserve de la création d’une filière française”.

Bien que ces mesures puissent avoir un impact positif sur L’empreinte carbone globale de la France, le programme de Le Pen ne parvient pas à clarifier quelle est la stratégie. Elle ne fixe aucun objectif ni ne fournit d’évaluation d’impact pour atteindre des objectifs aussi ambitieux – cela apparaît donc comme un simple air chaud.

Qu’en est-il de son plan pour le secteur des transports ?

Le transport représente 31 % des émissions totales de la France, c’est donc un secteur important à aborder dans le cadre d’un programme environnemental présidentiel.

Le Pen veut préserver l’usage de la voiture individuelle dans la mobilité. Elle entend “ralentir” la substitution des voitures à carburant fossile par leurs homologues électriques, en développant des hybrides et biocarburantsainsi que des véhicules à hydrogène.

Or, autoriser les véhicules hybrides sans mentionner de délai semble incompatible avec la sortie des énergies fossiles, à moins de dédier une surface conséquente à la production de biocarburants.

Et en l’absence d’objectifs de réduction de l’usage de la voiture, de la taille des véhicules et de la taille de la flotte ou de développement de capacités adéquates de production d’hydrogène décarboné – utilisé pour l’industrie, l’aviation et le fret routier – cela apparaît extrêmement ambitieux.

Le Pen a mentionné que elle veut faire des “trains du quotidien” une priorité mais, là encore, sans en expliquer l’idée (sauf lorsqu’il s’agit des jeunes, qui bénéficieraient de la gratuité des déplacements en heures creuses). En même temps, elle est favorable à la baisse des charges routières, ce qui est contraire à l’objectif d’un basculement vers le rail… donc c’est très confus.

Son programme environnemental est-il à la hauteur?

Le programme de Le Pen est plus vert que jamais. Néanmoins, au-delà des mots à la modeses propositions ne fournissent aucune stratégie concrète pour réaliser les politiques et ne donnent aucun objectif de réduction des émissions – ni de gouvernance publique pour surveiller le processus.

De nombreux éléments cruciaux pour la transition verte ne sont pas suffisamment pris en compte, tels que l’utilisation des terres (la forêt et la mer sont mentionnées comme des “grandes priorités nationales” sans objectif ni feuille de route), la gestion des déchetsl’économie circulaire ou la chaîne d’approvisionnement des matières premières pour les technologies à émissions faibles et nulles.

Et plus inquiétant encore, des aspects importants de l’économie ne sont pas mentionnés du tout, comme le émissions résultant de l’agriculture ou l’éducation et la formation pour les emplois de demain, ainsi que la question de l’amélioration des compétences des travailleurs.

Enfin, alors que Le Pen parie sur des technologies de rupture pour une économie durable et économe en ressources, elle ne fait jamais référence aux processus existants qui permettent déjà de réduire les émissions. Par exemple, les politiques d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique.

Ainsi, deux points apparaissent limpides. Bien que le programme écologique de Le Pen soit « plus vert » que les précédents, si elle est élue, il échouera.

Elle ne pourra pas répondre aux objectifs climatiques de la France dans le cadre de l’Accord de Paris.

Quant à l’agenda vert de Macron, il est certainement préférable, bien que largement insuffisant. Maintenant, la question est, qu’adviendra-t-il du climat si Le Pen arrive au pouvoir ? L’avenir s’annonce sombre dès le départ.