Mi-technique expérimentale, mi-composition musicale, le “live coding” est encore une technique méconnue du grand public. Son principe : créer de la musique en temps réel en programmant du code informatique

Entre technique expérimentale et composition musicale, le “live coding” est une pratique méconnue. Son principe : créer de la musique en temps réel en programmant du code informatique. Vaulx-en-Velin, ville de la périphérie lyonnaise, abrite la plus grande « algorave » de France où toute la musique est codée en direct.

Il n’y a aucun signe pour annoncer l’entrée de l’algorave, à la place les lettres GZ indiquent le chemin vers une porte grande ouverte dans une zone désaffectée de la ville.

GZ est l’abréviation de Grrrnd zéroune salle de concert “alternative” à Vaulx-en-Velin, où des artistes de toute la France se sont réunis récemment pour se produire dans la grande salle.

Il n’y a pas d’instruments ou de DJ set sur scène, mais simplement un ordinateur portable et des consoles de mixage. Les artistes programment de la musique en direct à l’aide de code informatique et d’algorithmes. La pratique peut être expérimentale mais aussi très élaborée et destinée à faire danser les gens.

“Tout est possible, grâce au live coding”, s’enthousiasme Jacopo Greco d’Alcéo, un compositeur italien venu vivre le code en duo ce soir. Pour lui, ce n’est pas qu’un style de musique, c’est un système global, une façon unique de créer de la musique. Cette technique lui permet aussi de créer des partitions, explique-t-il assis au bar de Grrrnd Zero.

Avec son allure futuriste, le live coding existe depuis une vingtaine d’années. Les algoraves en tant que telles sont nées en 2012 au Royaume-Uni, sous l’impulsion de Nick Collins et Alex McLean, deux musiciens et chercheurs.

Quelques heures avant le début du concert, les artistes viennent faire les derniers réglages sur scène et se familiariser avec le lieu. Écrans CRT et caméras analogiques s’affichent sur scène, ici on apprécie la technologie à l’état pur, sans être puriste.

« Réunir toute la scène française »

“Nous avons tout mis en œuvre pour organiser un événement toute la nuit”, explique Rémi Georgesqui organise l’événement avec Raphaël Formentdoctorante en musicologie spécialisée dans le live coding.

Les intervenants sont de 18h à 6h du matin, avec un line-up inédit qui représente le plus grand événement du genre en France. La mission de ce soir est de “réunir toute la scène française”, ainsi que quelques artistes venus d’Italie, des Pays-Bas et des Etats-Unis, précise Rémi Georges. A plus long terme : « créer une unité au sein de la scène française assez disparate et fragmentée ».

Georges et Forment sont deux passionnés à la recherche de nouveaux sons : “Je cherchais des moyens de faire de la musique complexe rythmiquement”, explique Rémi Georges. C’est lorsqu’il rencontre Raphaël Forment qu’il découvre cet univers. Il utilise également cette technique pour contrôler les synthétiseurs et toutes sortes d’appareils qui produisent du son.

“Le bruit de la machine”

Ambiance kaléidoscopique et sons cosmiques, un duo compose au rythme d’une animation en stop-motion projetée derrière eux. Le moment se veut unique, et éphémère, de la même manière qu’une improvisation de guitare électrique ou de trompette est unique lorsqu’elle est jouée sur scène.

Câbles, multiprises et consoles de mixage en tous genres séparent le public de la scène. La salle vide, dont les murs sont ornés de graffitis, abrite une soixantaine de personnes qui circulent librement.

Les artistes se succèdent entre sonorités loufoques et sonorités discordantes. Raphaël Forment circule entre les gares pour s’assurer que tout se passe bien. “Le live coding attire les artistes expérimentaux, ceux qui aiment l’électronique, ceux qui aiment le bruit de la machine”, explique-t-il. Ces passionnés de machines apprécient “le côté rugueux d’un synthétiseur et le fait qu’un ordinateur plante”.

Comme la performance est instantanée, il n’y a pas de préparation en studio, ce qui fait que “parfois ça peut être un peu croustillant”, avoue le doctorant. Preuve que la pratique se développe : “De plus en plus de gens essaient d’appliquer le live coding à des musiques plus conventionnelles, pour essayer de ne pas glisser, pour faire des choses très propres.”

Une pratique interactive

Pour chaque performance, l’écran de l’ordinateur de l’artiste est projeté derrière lui pour montrer le code informatique. “Le public peut suivre ce que nous faisons”, s’enthousiasme Francesco Corvi, artiste live coding.

Venu des Pays-Bas où il étudie à l’Institut de Sonologie de La Haye, le musicien pratique depuis cinq ans et a suivi l’évolution de cette méthode. “Je pense que le codage en direct est de plus en plus répandu”, explique-t-il. “Lors de la première algorave à laquelle j’ai assisté à Rome, personne ne comprenait ce qui se passait. Maintenant, vous voyez toujours des gens qui en ont entendu parler et qui sont intéressés. Ça grandit.”

Vous n’avez pas besoin d’être un expert en code informatique pour faire du codage en direct ou comprendre ce qui est affiché. Le langage utilisé est souvent “transparent”, une ligne pour une mélodie de batterie s’appellera “drum”, et une ligne pour un synthétiseur “synth”. La syntaxe utilisée est la plus courte possible pour faciliter la saisie du code par les artistes, notamment en live sur scène.

“C’est un code facile à lire pour qu’il soit plus communicatif avec le public même s’il ne comprend pas tout ce que le code implique”, explique Raphaël Forment. “On peut faire du live coding sans savoir programmer, sans être musicien. C’est comme découvrir un instrument, la première fois qu’on utilise un trombone, on ne sait pas souffler dedans, on ne sait pas comment pour lire la partition.”

À l’entrée, des cassettes audio et des vinyles sont disponibles à la vente ainsi qu’une multitude de dépliants faisant la promotion des événements à venir. Les organisateurs espèrent accueillir le troisième événement algorave au même endroit l’année prochaine.