Les diplomates français en grève à cause du projet de réforme

La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, diplomate de carrière (Photo Alik KEPLICZ / AFP)

C’est seulement la deuxième fois dans son histoire que l’institution se révolte ouvertement contre un projet gouvernemental.

Les diplomates estiment que la suppression de leur statut spécial affaiblira l’influence de la diplomatie française en rendant les postes accessibles à tous les hauts fonctionnaires et non plus seulement à ceux spécifiquement formés pour le service extérieur.

“La réforme dit que les agents sont, en quelque sorte, interchangeables”, a déclaré à l’AFP Olivier Da Silva, diplomate et responsable syndical.

“Et qu’en gros, si on remplit quelques conditions, on peut passer d’un poste au ministère de l’Agriculture, de l’Éducation ou de l’Intérieur à un poste au ministère des Affaires étrangères.”

Interférence politique ?

Le décret qui prévoit l'”extinction” du corps a été dévoilé en avril par le président Emmanuel Macron, qui souhaite créer un vivier unique d'”administrateurs d’État” d’élite capables de travailler dans tout le secteur public.

Cela signifie que les quelque 700 diplomates les plus anciens de France pourraient être invités à rejoindre d’autres ministères et à faire face à la concurrence de non diplomates pour les postes.

Les critiques disent que Macron cherche à avoir les coudées plus franches pour nommer des ambassadeurs après sa tentative infructueuse d’installer un ami, l’écrivain Philippe Besson, à un poste de premier plan comme consul général à Los Angeles.

Ce décret a suscité une levée de boucliers dans les corps constitués avant d’être annulé en 2019 par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française.

Le gouvernement affirme que la réforme attirera des candidats plus diversifiés dans le service diplomatique en ouvrant de nouvelles voies d’accès au ministère des Affaires étrangères, mais les critiques y voient un danger d’ingérence politique.

“La porte est désormais ouverte aux nominations à l’américaine”, a tweeté le mois dernier un ancien ambassadeur à Washington, Gérard Araud.

Les ambassadeurs américains sont nommés par le président, qui utilise souvent ce pouvoir pour récompenser ses alliés politiques et ses donateurs en leur offrant des postes à l’étranger.

La dernière et unique grève des diplomates français remonte à 2003 et visait à obtenir des augmentations de salaire.

L’inquiétude est réelle

La France a le troisième service extérieur le plus important au monde après la Chine et les États-Unis, avec environ 14 000 employés au total au ministère des affaires étrangères.

La grande majorité sont des non-diplomates ou des personnes en contrat local à l’étranger.

Mais la plupart d’entre eux se plaignent également d’années de réduction du budget et du personnel, alors même que leur charge de travail a explosé avec la pandémie de Covid-19 et les tensions géopolitiques croissantes, notamment entre l’Occident, la Chine et la Russie.

“Nous disons que l’on ne naît pas diplomate, que l’on ne naît pas fonctionnaire consulaire, mais qu’il faut de l’expérience, comme c’est le cas pour d’autres professions”, a déclaré M. Da Silva.

“Cette réforme, en niant cette distinction, risque d’affaiblir l’outil diplomatique français.”

La grève sera un défi pour la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, une diplomate de carrière nommée par Macron lors d’un remaniement ministériel il y a seulement deux semaines.

Sa nomination a été interprétée par beaucoup comme un signal de la volonté de Macron de s’engager avec le corps diplomatique, mais elle n’a pas commenté publiquement la grève jusqu’à présent.

“Les inquiétudes sont réelles, et le personnel est épuisé” et subit actuellement une pression intense, a déclaré une source proche du dossier, demandant à rester anonyme.