Après s’être installé dans les Pyrénées françaises dans les années 1990, l’auteur Steve Cracknell s’est retrouvé pris dans l’histoire fascinante de la réintroduction des ours dans les chaînes de montagnes françaises, et des batailles qui s’ensuivent entre les agriculteurs et les défenseurs de l’environnement.

Les animaux sauvages reviennent en France, en particulier dans ses montagnes. Les loups ont traversé la frontière depuis l’Italie, et on en compte désormais plus de 600 dans l’est et le nord de la France (comme l’explique John Lichfield dans The Local).

Mais les ours ont fait un saut beaucoup plus spectaculaire, en étant transportés à travers l’Europe dans des fourgons spécialement adaptés. Résultat, on en compte aujourd’hui au moins 64 dans les montagnes pyrénéennes entre la France et l’Espagne. Les deux espèces sont officiellement les bienvenues, protégées par la directive européenne sur les habitats de 1992.

Certains saluent le retour de ces grands prédateurs comme un triomphe pour la conservation de la nature. D’autres sont moins heureux. Les bergers ont vu leurs troupeaux attaqués à plusieurs reprises. Les chasseurs se retrouvent dans des situations dangereuses. L’année dernière, deux ours ont été abattus dans les Pyrénées et un autre a été délibérément empoisonné.

Le troupeau de Gisèle Gouazé passant par Couflens, Ariège lors de la transhumance vers le Mont Rouch. Photo : Steve Cracknell

Mon intérêt pour les Pyrénées et les ours a commencé au milieu des années 1990, lorsque je me suis installé dans la région viticole des Corbières (Aude). À l’époque, j’étais loin de me douter qu’il y avait des ours dans les montagnes voisines. Après tout, il n’en restait que cinq, terrés à l’autre bout de la chaîne, qui ne dérangeaient personne. Il y avait toujours eu des ours et les festivals les célébraient encore, mais bientôt ils allaient s’éteindre et ils seraient relégués au folklore.

Pourtant, au moment même où j’esquissais ma nouvelle vie, le gouvernement français réécrivait le scénario pour les ours. Il a commencé par relâcher trois ours slovènes au sud de Toulouse. Cinq autres ont été relâchés au printemps 2006 malgré les protestations des bergers. L’hiver suivant, la colère s’est dissipée et, alors que le cycle annuel d’élevage se répète et que peu de choses changent, il semble que les ours soient de mieux en mieux acceptés. Dix ans plus tard, ils étaient 39.

Des agriculteurs jettent des cadavres de moutons devant la préfecture de Bayonne pour protester contre les attaques d’ours. Photo de Nicolas MOLLO / AFP

Cette relative acceptation s’est évaporée en 2017. Soudain, le nombre d’attaques et le nombre de moutons morts ont explosé. Sur le Mont Rouch en Ariège, deux cent neuf moutons sont morts au cours d’un seul incident. Un seul mouton a été mangé, mais les autres ont paniqué et ont essayé de dévaler une pente raide.

“C’était comme s’ils étaient tombés du ciel…”, a déclaré Gisèle Gouazé, l’un des agriculteurs concernés. “Une rivière de carcasses.”

Peu de temps après, une vidéo anonyme a été envoyée aux médias. On y voit un groupe masqué déclarer qu’il rouvre la chasse à l’ours. Des fusils sont tirés en l’air. Les participants sont vêtus de cagoules noires avec des fentes pour les yeux et la bouche ; la voix off a été déformée pour la rendre méconnaissable.

Pour moi, cela a été le déclencheur d’un intérêt plus actif pour la controverse. J’ai commencé à assister à des réunions de protestation et à monter sur le toit de la maison.estives(pâturages d’été) pour interviewer des bergers. Ils m’ont parlé des défis que représente la vie avec les ours. J’ai rencontré des écologistes qui ont parlé de la biodiversité.

Lors d’une des réunions de protestation, j’ai entendu l’agriculteur Jean-Pierre Mirouze parler. Il venait de voir des centaines de ses moutons tués : “Au diable ces écologistes bourgeois qui se font bronzer avec des néons, qui ne savent pas comment on vit ici”. Il tremblait d’émotion.

En une autre occasion, son ami Philippe Lacube, aujourd’hui président de la Chambre d’agriculture de l’Ariège, a déclaré : “Nous risquons d’être rattrapés par une certaine idée de la nature dans laquelle l’homme est considéré comme une mauvaise chose. S’il n’y a pas d’homme, tant mieux. C’est une vision qui se répand dans notre société.”

L’année dernière, 658 animaux (principalement des moutons) sont morts dans des attaques où – comme le dit le jargon officiel – la responsabilité d’un ours ne pouvait être écartée. La plupart des attaques se sont concentrées dans les montagnes de l’Ariège. (Aucun humain n’a été tué par un ours dans les Pyrénées depuis plus de 150 ans).

Les ours adultes pèsent de 200 à 300 kg. Ils sont principalement végétariens mais mangent des carcasses et des animaux vivants s’ils en ont l’occasion. Ils s’empiffrent juste avant d’entrer dans leur torpeur hivernale – hibernation légère – et à nouveau lorsqu’ils quittent définitivement leur tanière. L’arrivée des moutons qui remontent des vallées à la fin du printemps est une occasion fantastique pour eux.

Gérard Caussimont pense avoir la réponse à la question des ours affamés. Caussimont est un écologiste et le président du Fonds d’Intervention Eco-pastoral (Fonds d’Ecologie et de Pastoralisme) pro-ours. Son slogan est : “Faire en sorte que les ours et les bergers puissent vivre ensemble dans les Pyrénées”.

Pour lui, la clé de la protection des moutons, ce sont les chiens de protection du bétail. Élevés avec les moutons, ils protègent le troupeau du danger. En effet, le chien de protection du bétail des Pyrénées, lepatouest de plus en plus utilisé.

Un chien patou garde un troupeau de moutons en train de paître dans une prairie près de Fanjeaux, dans le sud de la France. Photo par ERIC CABANIS / AFP

Au cours des dernières années, j’ai appris à connaître de nombreux bergers qui ont…patousLeur cabane se trouve sur le versant sud du Mont Rouch, en Catalogne.

La première fois que je suis allé les voir auestivej’ai fait trois heures de marche depuis la route la plus proche. En arrivant, Josep a ouvert sa main pour me montrer son précieux contenu : un poil, preuve qu’un ours avait été là. L’autre preuve était un mouton mort couché sur le dos, la gorge ensanglantée, les yeux encore ouverts. Moustapha a expliqué que la veille au soir, ils avaient rassemblé le troupeau, mais que la brume était descendue et que trois brebis rebelles étaient restées sur place. Au matin, celle-ci était morte.

Quand on lui a demandé : “Est-il possible de vivre avec des ours ?” Mustaphá a répondu : “Oui”. “Mais c’est difficile”, a ajouté Josep.

Comme Mustaphá et Josep, les bergers pyrénéens restent de plus en plus près de leurs troupeaux et les ramènent au bercail la nuit. Il existe des subventions pour aider à payer les frais supplémentaires et des indemnités lorsque les ours semblent responsables d’une attaque.

Un autre berger, Maxime Bajas, a adopté ces mesures de protection et ses pertes sont minimes. Il déclare : “Le jour où le pastoralisme acceptera l’ours et sera bienveillant à son égard, à ce moment-là, nous aurons une autre approche philosophique et une autre approche de la planète.”

Mais ailleurs, les moutons continuent de mourir. De nombreux bergers trouvent les mesures de protection difficiles à mettre en œuvre ou les refusent par principe. Ces bergers sont toujours en colère. Leurs protestations continuent.

Le livre de Steve Cracknell sur la faune sauvage en montagne, L’invraisemblable ré-ensauvagement des Pyrénées.est publié en octobre 2021 – commandez un exemplaire ici ou visitez le site Web de Steve ou suivez-le sur Twitter @enmarchant.