Camille Khellaf prépare une maîtrise en journalisme à l’université de Falmouth. Elle s’entretient ici avec un militant qui persuade les instituts financiers européens de ne plus investir dans les combustibles fossiles.

Lorsque les dirigeants mondiaux réunis au sommet du G7 en Cornouailles en juin dernier ont annoncé leur intention d’accélérer la transition vers l’abandon du charbon, un militant pour le climat avait déjà plusieurs longueurs d’avance.

Lucie Pinson a persuadé certaines des plus grandes institutions financières d’Europe de se retirer des investissements dans le charbon. Au début, elles n’ont pas saisi la gravité de la crise climatique.

“Ce n’est pas leur priorité, dit Pinson, ces institutions n’ont pas pour vocation première de défendre la planète.”

Aujourd’hui, elle a poussé trois puissantes banques françaises et les compagnies d’assurance AXA et SCOR à mettre fin à leur soutien au charbon – un coup dur pour le secteur des combustibles fossiles en Europe.

Pinson a dû apprendre le langage du marché, pour les convaincre que le financement du charbon était tout simplement mauvais pour les affaires, mais que le temps presse pour atteindre les objectifs climatiques.

Une faille fatale

Lauréate du célèbre prix Goldman pour l’environnement l’année dernière, Mme Pinson a étudié les sciences politiques à la Sorbonne, à Paris. Elle n’a aucune formation en économie ou en finance, mais elle a fait en sorte que la conversation avec ces grandes institutions se concentre sur ce qu’elle considère comme le défaut fatal de leur stratégie d’entreprise.

Il était clair pour elle que les compagnies d’assurance “tuaient lentement les personnes qu’elles assuraient et ne cherchaient qu’à faire du profit”.

L’énergie produite à partir du charbon est une source importante d’émissions de carbone qui provoquent le réchauffement de la planète. Recherche par une ONG Reclaim Finance montre que l’Europe ne pourra respecter une augmentation de température de 1,5°C, comme le prévoit l’accord de Paris sur le climat de 2016, que si elle abandonne l’énergie produite par le charbon au plus tard en 2030.

Ce n’était cependant pas le principal argument utilisé par Pinson. Le site dernières recherches de l’Université de Harvard montrent que la pollution atmosphérique due aux combustibles fossiles a causé la mort de plus de neuf millions de personnes, soit 18 % du total des décès dans le monde en 2018.

Selon cette étude, l’Europe présente les niveaux les plus concentrés de pollution atmosphérique liée aux combustibles fossiles et certains des taux de mortalité les plus élevés.

Pinson a partagé cette information avec les assureurs, la pollution atmosphérique des usines de charbon était un danger immédiat pour la santé.

“Ils sont les gestionnaires du risque dans notre société, c’est à eux de nous protéger mais en même temps, ils assurent une industrie qui menace notre avenir et provoque des milliers de décès prématurés par an”, explique-t-elle.

Allianz et Generali étaient les deux plus grands assureurs de charbon en Pologne, vendant des assurances vie dans toute l’Europe.

“La pollution des centrales à charbon polonaises n’a pas seulement affecté les Polonais, mais aussi les Allemands et les Italiens”, a rapporté Pinson en janvier 2018 à la coalition d’ONG Unfriend Coal.

Dialogue et données

Lorsque la compagnie d’assurance AXA a voulu faire une déclaration très médiatisée sur le climat lors du One Planet Summit 2017 du président français Emmanuel Macron, Pinson a participé à la rédaction d’une nouvelle politique d’assurance et d’investissement dans le secteur du charbon.

Sa stratégie ne consiste pas à faire la guerre à la finance, mais plutôt à offrir des conseils. C’est une approche de la carotte et du bâton, dit Mme Pinson. Elle suggère des politiques environnementales adaptées à leur modèle économique, mais n’hésite pas à leur demander des comptes publiquement.

“Il est généralement plus constructif de travailler avec des organisations plutôt que de les nommer et de leur faire honte”, convient Sarah Brown, analyste principale en électricité au sein du groupe de réflexion indépendant sur le climat et l’énergie Ember Climate.

“La collaboration et le dialogue, associés à des preuves fondées sur des données, sont plus efficaces pour obtenir un changement tangible et durable.”

Pour que cela se produise, Pinson n’est que trop conscient que les institutions financières doivent suivre et tenir leurs promesses environnementales. Elles ne disposent pas toujours des outils et des données nécessaires pour mesurer les résultats dans ce domaine, car cela ne fait pas partie de leur culture d’entreprise.

“Le monde financier est complètement dépolitisé et déshumanisé”, dit-elle.

“Il est possible de faire carrière dans le monde bancaire sans penser une seule seconde à l’impact de l’activité de l’institution pour laquelle on travaille, sur le climat ou sur les personnes.”

En 2020, Pinson a fondé Reclaim Finance, une ONG qui fait campagne pour sensibiliser le public à l’impact des entreprises sur le climat et la justice sociale. Dans le même temps, l’équipe de l’organisation a persuadé certains des plus grands financiers privés et publics du monde de mettre fin au financement du charbon et des combustibles fossiles.

Leurs succès incluent des noms tels que AXA, SCOR, BNP Paribas, le Fonds de pension norvégien et la Banque européenne d’investissement.

Contrôles et équilibres

L’équilibre entre le bien-être social et économique à court terme et la santé environnementale à long terme est une tâche complexe. Les travailleurs et les communautés qui dépendent des combustibles fossiles seront touchés par le retrait des investissements dans l’industrie, et les nations riches en ressources d’hydrocarbures seront obligées de se réinventer.

La Commission mondiale sur la géopolitique de la transformation énergétique. conseillé en 2019 qu'” un abandon rapide des combustibles fossiles pourrait créer un choc financier aux conséquences importantes pour l’économie mondiale “.

Mais Sarah Brown affirme qu’avec une bonne planification, cela peut être atténué pour garantir que “tous les pays soient en mesure de s’éloigner du charbon d’une manière juste, équitable et opportune.” Mme Brown préconise des initiatives politiques visant à recycler et à redéployer les travailleurs des emplois liés aux combustibles fossiles vers les industries renouvelables, chaque fois que cela est possible.

C’est un argument qui n’est pas difficile à faire, dit le stratège de l’énergie Didier Julienne, qui écrit pour Le Monde.

“La géologie des hydrocarbures (comme source d’énergie) n’a pas d’avenir et va disparaître de la mémoire collective”, prédit-il.

Une fois que les entreprises d’énergie fossile auront accepté cette évolution comme inévitable, Julienne affirme qu’elles “devraient réinvestir leurs immenses compétences et connaissances dans une alliance industrielle à grande échelle étroitement liée à la transition énergétique.”

Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini

Pour l’instant, la campagne pour une finance propre et durable est loin d’être terminée, selon Mme Pinson. Elle énumère une liste d’acteurs financiers internationaux – Intesa en Italie, Deutsche Bank en Allemagne et des banques britanniques comme HSBC ou Barclays – qui financent toujours de nouveaux projets de charbon dans le monde.

En juin 2021, Reuters a rapporté recherche par le groupe de réflexion américain Global Energy Monitor signalant 432 nouveaux projets d’extraction de charbon actuellement prévus dans le monde.

Pinson a maintenant le pétrole et le gaz dans sa ligne de mire. Elle veut persuader les financiers français de quitter les secteurs présentant le plus grand risque pour le climat, tels que le gaz de schiste, les sables bitumineux, l’Arctique et le forage en eaux profondes.

Débordante d’énergie et convaincue qu’elle peut trouver un langage que les entreprises comprennent, Mme Pinson ne semble pas se laisser décourager par la tâche qui l’attend. Elle ne relâche pas la pression et, armée des derniers faits et chiffres, elle tweete 24 heures sur 24, traduisant son message pour un public plus large.

Poussée par un sentiment d’urgence, elle dit qu’elle n’a pas d’autre choix que de gagner l’argument.

Je n’ose pas penser à l’échec de ce que nous faisons”, dit Pinson.

“Il est de notre responsabilité de faire en sorte que les coups qui arrivent soient les moins brutaux possibles. Chaque dixième de degré de réchauffement aura un impact sur des milliers de personnes.”

Cet article fait partie d’une série 2021 entre Euronews Green et l’Université de Falmouth.