Il n’a peut-être pas l’air de grand-chose, mais ce petit insecte brun pourrait aider des millions de personnes souffrant d’allergies en Europe.

Pour comprendre son potentiel, il faut savoir un peu de quoi il se nourrit.

Son aliment de prédilection est l’ambroisie, une plante envahissante et hautement allergène originaire d’Amérique du Nord qui s’est répandue en Europe depuis son arrivée accidentelle pendant la Seconde Guerre mondiale.

Allergie à l’ambroisie : ce que vous devez savoir

L’ambroisie, dont le nom scientifique est Ambrosia artemisiifolia, provoque des réactions allergiques entre la mi-août et la fin septembre. Comme de nombreux autres pollens, elle provoque des éternuements, une obstruction nasale et une conjonctivite. Ce qui est particulièrement remarquable avec l’ambroisie, c’est le nombre infime de grains de pollen nécessaires pour provoquer une réaction allergique.

“Tous les pollens ne sont pas égaux”, explique Margaux Sanchez, scientifique et coordinatrice de l’expertise à l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).

“Certains pollens sont plus allergisants, plus puissants. Avec le pollen d’ambroisie, seuls six grains par mètre cube suffisent à provoquer des symptômes chez les personnes allergiques”, a-t-elle déclaré à Euronews Next.

Selon un rapport de l’ANSES de 2020, un seul plant d’ambroisie peut produire entre 100 millions et 3 milliards de grains de pollen au cours de la saison et son pollen peut parcourir des centaines de kilomètres.

Pour donner une idée de l’ampleur du problème, l’ANSES a estimé que les coûts médicaux causés par cette mauvaise herbe en France se situent entre 59 et 186 millions d’euros par an. Ce coût s’élève à 415-650 millions d’euros par an si l’on tient compte des pertes de production dues aux absences au travail et à la perte de qualité de vie.

L’ambroisie n’a pas seulement un impact négatif sur la santé. Bien qu’elle pousse dans toutes sortes d’habitats, des berges des rivières aux bords des routes en passant par les chantiers de construction, elle se développe particulièrement parmi les cultures agricoles comme le tournesol et le maïs, où elle peut causer d’énormes pertes de rendement lorsqu’elle se mêle aux cultures récoltées. Ses graines peuvent même rester dans le sol jusqu’à 10 ans, de sorte qu’une fois que l’ambroisie a infesté un champ, elle peut réduire la valeur de la terre.

Ophraella Communa : un héros improbable ?

L’ambroisie n’est pas un problème européen. Elle a également colonisé d’autres pays, notamment la Chine et l’Australie. Ces pays se sont donc mis à la recherche d’un “agent de contrôle biologique” qui pourrait les aider à lutter contre cette plante. Il s’agit de trouver un insecte ou une maladie végétale, pour lutter contre une espèce nuisible, sans risque pour les plantes et les animaux indigènes.

“Pour trouver un agent de contrôle biologique, on se tourne vers l’habitat d’origine de l’organisme envahissant”, a déclaré le Dr Nicolas Desneux, directeur de recherche à l’Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.

“Habituellement, un organisme ne pose pas de problème dans son habitat d’origine parce qu’il est contrôlé par une série d’ennemis naturels… Il y a une sorte d’équilibre qui se crée. Dans les zones envahies, cet équilibre n’existe pas car ces ennemis clés, tels que les prédateurs, sont absents”, a-t-il déclaré à Euronews Next.

“Dans les zones envahies, cet équilibre n’existe pas car les ennemis naturels clés (par exemple les prédateurs) sont absents.”

Après des années d’expériences, ces pays ont découvert Ophraella Communa, un coléoptère originaire des Amériques qui passe la majeure partie de sa vie à traîner, manger et pondre ses œufs sur l’ambroisie commune. La Chine l’utilise depuis dix ans comme agent de contrôle.

“Pendant plusieurs années, la Chine en a lâché des millions chaque année dans les zones infestées”, ajoute le Dr Desneux.

“Depuis qu’ils ont mis en place ce programme de contrôle biologique, le coléoptère s’est établi avec succès et ils n’ont plus de problème d’ambroisie”.

D’autres pays, notamment européens, n’ont pas donné la priorité à Ophraella Communa comme méthode de lutte contre l’ambroisie.

Cependant, le coléoptère a fini par apparaître, sans y être invité, dans la région de Milan en Italie en 2013, une zone gravement infestée par l’ambroisie. Cette arrivée a eu un impact majeur : les niveaux de concentration de pollen d’ambroisie ont chuté de 80 % en deux ans seulement.

Les scientifiques européens ont utilisé la situation italienne involontaire comme une opportunité supplémentaire d’étudier l’insecte.

“Dans un rapport de 2016, nous avons évalué les risques et les avantages potentiels de l’introduction de l’insecte en France”, a déclaré le Dr Desneux.

“Nous avons constaté que les risques étaient à peu près nuls, très minimes, mais que les bénéfices potentiels étaient très élevés… nous estimons que cela réduirait les coûts médicaux en France de moitié, au minimum.”

Peut-elle nuire aux cultures ?

L’une des principales préoccupations qui a ralenti les progrès est la crainte qu’Ophraella Communa puisse attaquer les cultures de tournesol. Mais des recherches récentes menées dans le cadre d’un projet financé par l’Europe, appelé Cost-Smarter, ont conclu que le risque pour les cultures est pratiquement nul. L’expérience de la Chine le confirme, aucune attaque n’ayant été enregistrée sur les cultures de tournesol depuis son introduction.

Ainsi, à l’été 2021, les premiers tests d’Ophraella Communa ont commencé en France.

“Nous avons reçu l’autorisation de l’ANSES d’introduire Ophraella Communa en France en situation de quarantaine”, explique le Dr Desneux.

“Nous allons effectuer d’autres tests pour compléter les données autour de son innocuité pour les plantes françaises… si les risques sont faibles, voire inexistants, alors nous demanderons à l’ANSES le droit de lâcher l’insecte comme agent de lutte biologique contre l’ambroisie.”

Un projet normal d’introduction d’un agent de contrôle biologique peut prendre jusqu’à 10 ans, mais le Dr Desneux est optimiste quant à la rapidité de ce projet.

“Nous avons déjà des rapports, nous avons déjà l’insecte, nous avons déjà presque 10 ans d’expérience en Chine et des années de données en Italie. Nous espérons obtenir l’autorisation de lâcher l’insecte à la fin de 2022 ou au début de 2023”, a-t-il déclaré.

Le changement climatique et l’avenir des allergies à l’herbe à poux.

On attend beaucoup des petites épaules de l’insecte, car si l’herbe à poux n’est pas contrôlée, beaucoup plus de personnes pourraient devenir allergiques au cours des prochaines décennies.

“La modélisation de l’avenir n’est pas très optimiste”, a déclaré M. Sanchez, en faisant référence à la façon dont l’ambroisie se propagera si on la laisse tranquille.

“Le principal facteur sera le changement climatique car l’ambroisie aime les températures plus élevées…. Donc, avec le changement climatique, la plante va s’étendre à de nouvelles zones parce que l’habitat lui convient et le CO2 aura également un impact sur le pollen, sur la production du pollen.

“Le changement climatique va également allonger les saisons. Cela signifie donc plus de pollen, pendant plus longtemps. Donc pour les gens, cela aura un impact énorme.”

Comment prévenir et traiter une allergie à l’ambroisie ?

Si vous n’êtes pas déjà allergique à l’ambroisie, vous faites peut-être partie des chanceux, ou c’est peut-être simplement que vous n’avez pas encore été en contact prolongé avec elle. Une personne doit être exposée à une forte concentration de pollen pour développer l’allergie, il est donc dans votre intérêt de l’éloigner de votre région.

Si l’herbe à poux peut être exclue, ou fortement limitée, dans les régions européennes actuellement non touchées, il est possible de prévenir l’allergie chez des millions de personnes.

Si, toutefois, vous êtes déjà allergique à l’herbe à poux, il n’est pas trop tard pour espérer. Si tout se passe bien avec les expériences d’Ophraella Communa en France, elle pourrait un jour être introduite par d’autres pays et vos étés pourraient devenir beaucoup plus faciles.

“Je ne peux pas dire que vous ne serez plus jamais allergique, que vous n’aurez plus jamais de symptômes”, conclut le Dr Desneux. “Mais il y aura un réel impact, une réelle réduction des symptômes”.

En attendant de voir si un petit coléoptère brun peut aider à contrôler cette plante et à soulager les symptômes d’allergie, voici quelques mesures que vous pouvez prendre :

  • Si vous voyez de l’herbe à poux dans votre région, signalez-le aux autorités locales. Faites une recherche en ligne pour voir s’il existe dans votre pays une plateforme dédiée pour signaler sa présence. En France, par exemple, il existe cette plateforme pour alerter votre point de contact local.
  • Si elle est sur votre propriété, vous pouvez l’enlever, mais attention à le faire avec des gants et seulement avant qu’elle ne fleurisse, sinon vous risquez de devenir allergique.

Si vous êtes déjà allergique, voici ce que vous pouvez faire pendant les périodes de pointe :

  • Consultez votre bulletin pollinique local pour identifier les jours les plus difficiles.
  • Gardez vos fenêtres fermées pendant la journée, c’est à ce moment-là que le pollen se déplace le plus.
  • Lavez vos vêtements, vos draps et vos cheveux plus souvent car le pollen peut y rester coincé.
  • Consultez votre médecin ou votre pharmacien. Les antihistaminiques sont la solution habituelle pour traiter les symptômes de l’allergie. Il peut être utile de les prendre avant le début de la saison des allergies.