AVIS : Un référendum français sur le droit de mourir serait une catastrophe

Un manifestant appelant à un assouplissement des lois françaises sur le droit de mourir. Photo de BORIS HORVAT / AFP

En France, tout est politique, même la mort. On pourrait penser que le président Emmanuel Macron a suffisamment de problèmes à régler sans ouvrir la boîte de Pandore morale et politique de l’euthanasie et/ou du « suicide assisté ».

Lors de la campagne électorale présidentielle au début de cette année, Macron a promis une nouvelle législation sur le sujet. Lundi, faire état d’ici fin mars d’une éventuelle nouvelle loi Fin de Vie – la cinquième sur le sujet en France en 24 ans – d’ici fin 2023.

L’annonce du président a provoqué une salve immédiate d’insultes de la part de ses adversaires politiques, de gauche et de droite.

Macron cherchait désespérément, disaient-ils, une sorte de monument législatif de son époque à l’Elysée. Il tentait de détourner l’attention de la crise qui menace le service de santé français cet hiver.

Une loi complète sur la fin de vie a été adoptée il y a seulement six ans, ont-ils déclaré. Il était encore mal compris du public et appliqué de manière inégale. Pourquoi maintenant? Pourquoi changer à nouveau la loi si tôt ?

Le timing de Macron a été forcé en partie par un rapport indépendant, publié mardi par le principal organisme de surveillance français de l’éthique médicale, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Le comité de 40 membres – avec huit voix dissidentes – a recommandé, avec de nombreux qualificatifs et clauses, que la loi française sur la vie et la mort soit à nouveau revisitée.

Pardonnez-moi si j’entre dans certains détails. C’est un sujet délicat.

La loi française existante de 2016, la loi Claeys-Leonetti, interdit à la fois l’euthanasie (acte délibéré d’un médecin pour abréger la vie) et le suicide assisté (mise à disposition de médicaments par le personnel médical pour permettre à un patient souffrant de prendre ses propres la vie).

La loi stipule cependant que les patients en phase terminale ont le droit de « dormir avant de mourir, afin de ne pas souffrir ». Toute personne n’ayant que peu de temps à vivre a droit à une “sédation profonde jusqu’à la mort”.

Le rapport majoritaire publié mardi par l’organisme de surveillance de l’éthique médicale a déclaré que cette loi vieille de six ans n’était plus conforme aux progrès de la médecine et de la société. La sédation permanente ne convenait pas aux personnes qui pouvaient survivre plusieurs mois.

“Le respect du droit à la vie ne devrait pas obliger les gens à endurer des vies qu’ils trouvent intolérables”, a conclu le comité d’éthique. “Il n’y a aucune obligation de vivre.”

Elle suggérait à la France d’envisager d’aller plus loin dans la voie légale – ou dans des voies diverses – déjà empruntées par la Suisse, la Belgique et l’Etat de l’Oregon aux Etats-Unis.

Il faudrait envisager, avec de nombreuses garanties juridiques et éthiques, de permettre “l’accès au suicide assisté” pour “les adultes atteints d’une maladie grave et incurable produisant de grandes souffrances” dont on s’attend à ce qu’ils meurent à “moyen terme”.

L'”euthanasie” – acte délibéré d’un médecin qualifié – doit également être envisagée pour les patients souffrants qui sont trop physiquement ou mentalement incapables de mettre fin à leurs jours. Une déclaration autorisant un tel acte devrait être signée pendant que le patient est encore en mesure de le faire. Dans de tels cas, une décision finale serait prise par un juge.

Si elles étaient suivies, ces recommandations prudentes feraient de la loi française sur la « fin de vie » l’une des plus libérales au monde – mais pas tout à fait aussi libérale qu’en Belgique ou en Suisse. Le réalisateur franco-suisse Jean-Luc Godard, , aurait profité du droit légal suisse au suicide assisté.

Les propositions du gendarme de l’éthique et de la Convention citoyenne de Macron seront sans doute confuses et déformées dans les mois à venir. La vie et la mort, et la frontière qui les sépare, sont des sujets difficiles dans le meilleur des cas – ouverts à la fois à la confusion honnête et à la falsification délibérée

Raison de plus, pourriez-vous penser, pour laisser de côté ces questions, si vous êtes un président sans majorité à l’Assemblée nationale et un embouteillage d’autres problèmes plus urgents à résoudre.

Lors d’un point de presse avec les correspondants de l’Elysée lundi, le président Macron s’est dit “convaincu” qu’il était temps d’agir car des “situations inhumaines” existaient toujours. Il a dit qu’il n’avait pas de réponses toutes faites à des questions qui étaient “tout sauf faciles”.

En mars, Macron a fait l’éloge de la loi belge existante qui autorise le suicide assisté et l’euthanasie (même pour les mineurs). Lundi, le président a déclaré que le modèle belge n’était “pas forcément celui à suivre exactement”.

Il a dit qu’il espérait que la convention citoyenne proposerait un « texte » qui pourrait être soumis au parlement pour amendement et peut-être à un référendum d’ici la fin de l’année prochaine.

L’un des arguments les plus forts contre une nouvelle loi est que la France n’a pas encore bien absorbé celle qui existe. La loi de 2016 insiste sur le fait que tous les patients en fin de vie ont droit à un soulagement permanent de leurs souffrances.

Et pourtant, la France n’a pas encore créé la capacité médicale pour rendre cela possible. Les soins palliatifs restent un parent pauvre du système de santé français. L’Inspection générale des services sociaux a récemment rapporté que 62 % – près de deux sur trois – des patients mourants en France ne bénéficient pas des soins de fin de vie prévus par la loi.

Le rapport du comité d’éthique médicale de cette semaine a déclaré qu’il ne devrait y avoir AUCUN changement dans la loi tant que les soins palliatifs en France n’offriraient pas aux malades en phase terminale les moyens de mourir dans la paix et la dignité sans se suicider.

D’autre part, de nombreuses personnes qui ont perdu un être cher âgé à cause d’une maladie prolongée (moi y compris) savent qu’il existe parfois une hypocrisie bien intentionnée ou une zone grise délibérée dans les soins palliatifs. La différence entre la « sédation profonde » et l’euthanasie, entre le sommeil et la mort, est souvent fort heureusement indistincte.

Peut-être vaut-il mieux laisser ainsi; ou peut-être que les gens devraient avoir un certain contrôle sur leurs derniers jours. C’est une question horriblement difficile. Le président Macron a peut-être raison de le soulever à nouveau.

Mais s’il te plaît,s’il vous plaîtépargnez-nous un référendum. Le sujet est bien trop complexe et émouvant pour un référendum, qui générerait une avalanche de conspirationnisme et d’absurdités haineuses de Macron sur Internet. Si quelqu’un décide de changer la loi (encore une fois), ce devrait être le parlement.