AVIS: Macron gagnera les élections françaises - et alors ses vrais problèmes commenceront

Photo de Charly TRIBALLEAU / AFP

Il y a deux façons (au moins) de voir le second tour de l’élection présidentielle française dimanche.

Certains commentateurs y voient un affrontement « bloc contre bloc » ; du peuple contre les élites ; de l’anti-système contre le système. Ils imaginent que ce sera une bataille entre un front anti-Macron et un front anti-Le Pen.

Ils ont tort, heureusement.

Si vous combinez les votes de tous les candidats « anti-système » de droite et de gauche au premier tour, vous atteignez 58,7 % du total. Comment Emmanuel Macron pourrait-il être réélu ce week-end si les électeurs « antisystème » étaient une force politique cohérente ? Il n’aurait aucune chance.

En l’état, les enquêtes d’opinion donnent à Macron une avance comprise entre 9 et 12 points. Comment est-ce possible ?

La réponse est que « bloc contre bloc », « peuple contre élites » est une description incomplète et trompeuse du champ de bataille électoral français.

Je soutiens depuis des mois – dans cette chronique et ailleurs – que l’ancien système français de droite-gauche s’est mué en un schéma confus de trois grandes tribus : la gauche dispersée et les Verts ; un Centre pro-européen et consensuel ; et une droite nationaliste-populiste, anti-migrants et anti-européenne.

Je pensais que ces trois blocs deviendraient clairement définis et développeraient peut-être des structures de parti à temps pour la prochaine élection présidentielle en 2027. Je me trompais. Les événements se sont déplacés beaucoup plus rapidement.

Si vous assemblez les votes du premier tour selon mes nouvelles lignes de fracture, la France s’est divisée le 10 avril en trois parties presque égales. Les six candidats de gauche ont obtenu 32,2 % ; Le centre de Macron et le croupion Valérie Pécresse du centre-droit ont obtenu 32,4 % ; les trois candidats de la droite nationaliste ont obtenu 32,5 %.

Les 3 % restants sont allés à l’excentrique et égocentrique Jean Lasalle, un homme qui défie toute catégorisation.

La géologie de ce nouveau paysage électoral est instable. Les limites peuvent être tracées de différentes manières. (Tous les Pécresse restants devraient-ils être comptés comme faisant partie du Centre ?) Chaque camp ou tribu est divisé en interne. Chaque tribu contient des parties de «l’élite» et des parties du «peuple».

Néanmoins, je crois que ce modèle « Tripartite » est une description plus précise et utile de la politique de la France en 2022 que le schéma Peuples contre Élites bien-aimé de certains philosophes, professeurs de politique et commentateurs français.

La division en trois grandes tribus explique pourquoi Macron gagnera dimanche. Même s’ils détestent Macron, beaucoup plus de membres de la tribu gauche/verte soutiendront le centre que ne voteront pour l’extrême droite. Une grande partie s’abstiendra bien sûr ou restera à la maison.

L’obsession du peuple contre l’élite n’est pas entièrement une illusion. L’électorat de Marine Le Pen est fortement orienté vers les pauvres et les en difficulté, les moins éduqués et les malheureux. Un électeur à faible revenu sur trois – 33,8% – a voté pour elle le 10 avril.

Le reste du soi-disant « bloc populaire » est plus disparate : ce n’est ni tout « populaire » ni vraiment un bloc.

Le rival d’extrême droite de Le Pen, Eric Zemmour, plaît peu à la classe ouvrière souffrante ou à l’électeur rural aliéné. Son électorat est dominé par une partie aisée et bien éduquée de « l’élite » qui déteste le consensus pro-européen et racialement tolérant.

L’électorat de Mélenchon, à la fois son vote de base et son vote de gauche élargi de 22 % le 10 avril, est encore plus difficile à catégoriser. On y trouve de nombreux jeunes issus de milieux « élites » qui ont des opinions passionnées de gauche, écologistes et antiracistes. Il ne comprend qu’un électeur ouvrier sur quatre, mais les deux tiers de tous les électeurs musulmans. Il comprend relativement peu d’électeurs dans les zones rurales ou les banlieues extérieures difficiles.

De même, le bloc « d’élite » ou dominé par Macron à 41,3 % comprend 20 % d’électeurs de la classe ouvrière. Son vote était moins métropolitain qu’il ne l’était en 2017. Il a étonnamment bien réussi dans certaines parties de la France rurale.

Dans mon propre village de Normandie, où Le Pen était en tête du scrutin de premier tour en 2017, Macron est arrivé premier le 10 avril avec un peu plus de 30 %. Ce fut une grande surprise pour moi et celle de la plupart des autres habitants de la région à qui j’ai parlé.

Il y avait autrefois un vote caché pour Le Pen dans la France rurale. Maintenant, il semble qu’il y ait un vote Macron caché.

La division électorale à trois devrait, en théorie, rendre les élections législatives difficiles pour un président Macron nouvellement réélu en juin. J’en doute. Son tiers du vote populaire, s’il reste uni, bénéficiera des bizarreries du système électoral parlementaire dans lequel trois ou quatre candidats peuvent se disputer le second tour. Ensuite, le scrutin uninominal à un tour l’emporte.

Après la performance calamiteuse des Républicains et de Pécresse, le Centre dominé par Macron est bien placé pour engloutir une grande partie de ce qui reste du centre-droit pro-européen modéré. S’ils peuvent résoudre leurs propres querelles, les alliés de Macron pourraient obtenir une majorité de travail au nouveau parlement

La tribu de gauche, ou l’ensemble des tribus, est désormais dominée par l’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon. Ils risquent de s’éparpiller une nouvelle fois avant les législatives des 12 et 19 juin. Si la gauche gère une sorte d’alliance électorale, elle pourrait gagner un gros morceau de sièges dans la nouvelle Assemblée nationale.

L’extrême droite semble irréconciliablement divisée entre ses ailes Le Pen et Zemmour. S’ils se présentent séparément aux élections à l’Assemblée – comme cela semble inévitable – ils seront très peu performants.

Conclusion…

Macron sera réélu dimanche. Il obtiendra également une majorité parlementaire.

Le débat télévisé de mercredi soir pourrait modifier légèrement sa marge gagnante, vers le haut ou vers le bas. Cela ne changera pas le résultat.

Le Pen fera mieux dans le débat cette fois. Elle pourrait difficilement faire pire qu’en 2017. Les fondamentaux de son programme – sur l’économie, sur l’Europe, sur le changement climatique, sur la race et la migration – sont tout aussi incohérents et malhonnêtes qu’ils l’étaient il y a cinq ans.

Si Macron démêle les contradictions (sans être trop agressif), il devrait continuer à gagner dimanche avec une marge de huit à dix points.

Et alors ses ennuis commenceront. Le nouveau paysage politique signifie que les deux tiers de tous les électeurs le considèrent toujours comme un parvenu et un intrus.