AVIS : les politiciens français doivent cesser de protéger servilement la police

La police française au Stade de France. Photo de Maryam EL HAMOUCHI / AFP

En 25 ans en France, je me suis souvent retrouvé à lutter contre la marée médiatique pour défendre mon pays d’adoption des critiques inexactes. Que puis-je dire sur les événements au Stade de France à Saint-Denis lors de la finale de la Ligue des Champions samedi ?

Quatre jours après l’événement, le gouvernement français persiste à blâmer les principales victimes, les supporters du Liverpool FC. Oui, il y avait clairement des faux billets en circulation, peut-être jusqu’à 2 800, mais rien qui se rapproche de la “fraude industrielle de masse” alléguée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

En tant que supporter de Manchester United depuis près de 70 ans, je suis programmé pour considérer les supporters de Liverpool comme l’ennemi héréditaire. D’après ce que je peux voir, ils se sont comportés avec une patience et un calme exemplaires samedi, bien qu’ils aient été parqués dans des espaces dangereusement denses par l’incompétence administrative ; attaqué par des gangs de voyous des domaines voisins; et nonchalamment aspergés de gaz lacrymogène par des policiers qui ne les ont pas guidés ni protégés.

Qui est vraiment à blâmer ?

Darmanin dit que ce sont les 30 000 à 40 000 fans supplémentaires de Liverpool qui se sont présentés avec de faux billets ou sans billet. Les enquêtes des médias français ont prouvé ces derniers jours qu’il s’agissait d’un fantasme ou d’un faux-fuyant. Autrement dit, un mensonge.

Darmanin blâme également le fait qu’une grève ferroviaire ait fermé l’une des deux gares RER que les supporters de Liverpool auraient pu utiliser. Il omet de mentionner que la police a garé des camions sous un passage souterrain d’autoroute pour réduire l’accès restant déjà dangereusement encombré à ce qui est toujours un stade très difficile à atteindre pour 80 000 personnes.

La police française accuse la mauvaise planification de l’UEFA, l’instance européenne du football. L’UEFA accuse le gouvernement français et la police française. Plusieurs enquêtes sont en cours.

Je n’étais pas à Saint-Denis pour la finale de la Ligue des champions européenne samedi. Je dois me fier à ce qui peut s’avérer être des comptes partiels ou inexacts.

Mais le poids accablant des preuves suggère que la police française a perdu le contrôle des événements ; a pris des décisions qui ont aggravé une situation dangereuse ; puis a attaqué certaines des victimes innocentes avec des gaz lacrymogènes, accidentellement ou délibérément. Les responsables de la police, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur Darmanin et le préfet de police de Paris, Didier Lallement, ont alors tenté de dissimuler leurs manquements en accusant les supporters de Liverpool.

L’histoire du Stade de France, c’est beaucoup de choses mais c’est, au moins en partie, une histoire d’incompétence policière profondément enracinée.

La police française n’est pas formée au « contrôle des foules ». Ils sont formés pour « maintenir l’ordre public ». Ils réagissent mal aux événements rapides car ils ont des structures de commandement rigides. Les officiers subalternes ne sont pas formés pour porter leurs propres jugements; les officiers supérieurs sont lents à modifier les plans qui ont été établis par des officiers encore plus supérieurs.

Sebastian Roché, de Science Po Grenoble, est l’un des plus grands experts académiques de la police française.

Il a déclaré au Monde cette semaine : « La police française n’est pas censée parler au public. Ils ne sont pas formés pour envoyer des informations en amont à leurs supérieurs pour modifier les plans en fonction des développements sur le terrain. Ils sont incapables d’expliquer au public ce qu’ils font et pourquoi.

En conséquence, a-t-il dit, la police française a tendance à considérer les grandes foules comme des entités uniques. Si quelque chose ne va pas, si l’ordre public est menacé, toute la foule est traitée, ou maltraitée, de la même manière. D’où les images troublantes de policiers français recourant avec désinvolture à des sprays au poivre et à des gaz lacrymogènes contre des supporters pacifiques de Liverpool samedi soir.

En d’autres termes, le problème policier français est un problème structurel ; ce n’est pas seulement une question d’excès ou de manquements occasionnels. C’est la troisième fois que j’écris sur cette question dans cette chronique en l’espace de trois ans. Rien ne semble changer.

L’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a été contraint de quitter ce poste en 2020 pour plusieurs raisons. L’un d’eux était qu’il avait perdu la confiance de la police et de la gendarmerie. Il a été l’un des rares ministres de l’Intérieur de mon temps en France à oser critiquer publiquement la police.

Son successeur, Gérald Darmanin, ne commet jamais cette erreur. D’où en partie, je crois, sa critique injustifiée des fans de Liverpool.

Contrairement à la Grande-Bretagne ou à l’Allemagne, la police et la gendarmerie françaises sont des forces nationales sous contrôle politique national.

Ils se considèrent, et sont considérés par les autres, comme des protecteurs de l’État et du gouvernement au pouvoir, plutôt que comme des serviteurs du peuple. Sébastien Roché dit qu’ils sont « câblés pour être isolés de la société et ne répondre qu’à l’exécutif ».

La France a un problème d’ordre public. La politique descend rapidement dans la rue. Les présidents et gouvernements français successifs savent qu’ils ont besoin de la police pour les protéger. Ils ont donc eu tendance à protéger et à flatter la police (mais pas toujours à la financer ou à la former correctement).

Après quelques graves débordements policiers en 2021, le président Macron a chargé Darmanin d’améliorer les relations entre la police et le public et de veiller à ce que la police française soit, à l’avenir, « irréprochable ». Une conférence a été convoquée. Peu de choses ont été entendues depuis.

Samedi, le problème persistant de la police en France a été diffusé en direct dans le monde. La coupe du monde de rugby aura lieu en France l’année prochaine et les Jeux olympiques auront lieu à Paris en 2024 – avec le Stade de France à Saint-Denis comme stade principal.

Il est temps que le gouvernement français arrête de protéger la police. C’est, après tout, la police qui est censée nous protéger.