AVIS : Le nouveau chef du parti de Le Pen pourrait diviser l'extrême droite française

Jordan Bardella, 27 ans, est le nouveau président du parti d’extrême droite Rassemblement national. Photo par Alain JOCARD / AFP

Un mois, c’est long dans la politique de l’extrême droite française – le mois dernier, Marine Le Pen a été saluée comme un génie politique. Ce mois-ci, la carapace de plausibilité et de respectabilité de son parti s’est scindée, exposant ses contradictions et son intolérance fondamentales.

L’un de ses 89 adjoints vendredi dernier pour avoir crié un propos raciste – “Retournez en Afrique” – à un collègue d’origine congolaise,

Le lendemain son protégé, Jordan Bardella, 27 ans, du Rassemblement national. Il a immédiatement purgé de l’exécutif du parti deux des alliés de Le Pen dans le nord de la France, dont le maire de la ville qu’elle représente au parlement.

À un certain niveau, cela peut n’être qu’une prise de bec entre des générations et des personnalités incompatibles. À un autre niveau, cela pourrait représenter le début d’une guerre civile entre les forces contradictoires de la version cosmétiquement respectable de Marine Le Pen du mouvement d’extrême droite de son père.

Des deux incidents, la suspension du député Grégoire de Fournas risque d’être le plus dommageable à court terme.

Après les élections législatives de juin, Le Pen dirige le plus grand groupe d’extrême droite au Parlement français depuis la fin du régime collaborationniste de Vichy en 1944. Elle leur a ordonné – avec un certain succès – de paraître respectables et respectueux, engagés et durs. travail.

Sa stratégie est de faire apparaître son parti comme la seule opposition cohérente au macronisme et donc le « parti de gouvernement » naturel et alternatif. Elle quand, à la dernière minute, elle a inversé les votes de son parti pour soutenir une motion de censure de gauche contre Macron et sa Première ministre, Elisabeth Borne.

Ce faisant, elle a embarrassé les Républicains de centre-droit, dont les non-votes ont permis au gouvernement de survivre. Ils étaient, se vantait Le Pen, les alliés de facto d’Emmanuel Macron.

Elle a également embarrassé et divisé l’alliance de gauche qui s’est retrouvée de facto en alliance avecson.

Entre, à l’extrême droite, Grégoire de Fournas, vigneron et député RN de la Gironde dans le sud-ouest. Jeudi dernier, il a crié au député de gauche Carlos Martens Bilongo alors qu’il posait une question sur les boat people de la Méditerranée.

Ses paroles peuvent être interprétées de diverses manières – un exemple de la façon dont la langue française parlée peut être très précise mais peut aussi être très ambiguë.

D’autres députés ont entendu crier Fournas“qu’il retourne en Afrique» (le renvoyer en Afrique, en référence au député Bilongo, né dans la banlieue nord de Paris). Fournas a d’abord insisté sur le fait qu’il avait parlé au pluriel :“qu’ils retournent en Afrique», c’est-à-dire les boat people. Puis il a dit qu’il avait parlé au singulier mais qu’il parlait du bateau, pas de M. Bilongo.

L’assemblée a rejeté sa version et l’a suspendu pour le maximum de 15 séances quotidiennes.

Des publications ignobles racistes et antisémites de Fournas sur les réseaux sociaux ont depuis été découvertes par les médias français. M. Bilongo a été bombardé de messages racistes sur les réseaux sociaux.

Globalement, l’incident est une grave entorse au vernis de respectabilité que Marine Le Pen cherche depuis 12 ans à appliquer au RN. Fournas était en lice pour devenir le nouveau porte-parole du parti. Officiellement, le parti soutient sa version des faits mais son nom a disparu de la liste des nominations RN ce week-end.

L’incident de Fournas a terni ce qui était censé être un “nouveau départ” pour le mouvement lepenniste, un congrès du parti au cours duquel les membres ont voté (comme prévu) pour installer Jordan Bardella comme premier président du parti en 50 ans à ne pas s’appeler Le Pen.

Officiellement, c’était le choix des membres, à 85 % contre 15 % pour Louis Aliot, le maire de Perpignan et ex-partenaire amoureux de Marine Le Pen. Il était pourtant bien entendu que Marine favorisait Bardella, qui devient, à 27 ans, de loin la plus jeune personne à avoir jamais dirigé un grand parti politique français.

Il est aussi bien entendu que Marine reste le vrai chef du parti. Il est entendu qu’elle se présentera pour la quatrième fois à la présidence en 2027, à moins qu’elle ne décide de se concentrer sur .

Le rôle de Bardella est censé être une sorte de Premier ministre du président Le Pen, s’occupant du travail fastidieux de diriger le parti et d’organiser ses finances. Marine, est-il rapporté de manière fiable, pouvait rarement se donner la peine d’entreprendre ce travail.

Bardella, un beau visage et un interprète plausible à la télévision, est également considéré comme un moyen d’attirer le soutien des jeunes électeurs et de prouver que le RN est plus qu’une entreprise familiale. En vérité, son ascension rapide prouve le contraire. L’une des raisons pour lesquelles il a été favorisé par Marine est qu’il fait partie du clan Le Pen. Il est le conjoint de la nièce de Marine, Nolwenn Olivier, la fille de sa sœur aînée, Marie-Caroline.

L’ascension de Bardella est profondément ressentie par l’ancienne génération de barons RN. Steeve Briois, le maire de la circonscription de Le Pen, Beaumont-Hénin, près de Lille, l’a un jour appelé en face »un petit con» (petit idiot).

À un certain niveau, il n’était donc pas surprenant que Bardella ait purgé Briois de l’exécutif de 12 membres du parti ce week-end. Il a également exclu un autre baron « du Nord » qui avait fait campagne contre lui, Bruno Bilde.

Ces éjections sont plus significatives qu’un choc de générations ou de personnalités. Marine Le Pen a tenté de sauver Briois et Bilde, qui sont ses importants alliés personnels depuis 15 ans.

Bardella a insisté et il a réussi. Il semble qu’il ne sera pas l’homme de paille que beaucoup attendaient.

Dimanche, dans un communiqué de presse aux termes inhabituellement durs, Briois a accusé Bardella d’avoir tenté de « retarder » et de « re-radicaliser » le parti. Le nouveau président, dit-il, s’éloigne des politiques sociales (presque socialistes) adoptées par Le Penfilledepuis 2010 et revenant à l’approche plus ouvertement identitaire, ultra-nationaliste, à faible fiscalité et à petit gouvernement de son père.

Cette plainte est peut-être exagérée. Il est peu probable que Marine Le Pen permette à Bardella d’abandonner complètement son approche « ni de gauche ni de droite » et d’abandonner des politiques attrayantes pour ses nombreux électeurs de la classe ouvrière.

Mais il y a longtemps eu des tensions entre le RN « du Nord » (interventionniste socialement et économiquement), emmené par Briois et Bilde, et le RN « du Sud », qui vénère les impôts bas et le petit État ainsi que « l’identité nationale ».

Cette tension – ainsi que les limites politiques et la paresse intellectuelle de Le Pen – expliquent l’état d’incohérence permanent de la plate-forme économique du parti.

Un propos raciste d’un député RN est dommageable pour Le Pen à court terme. Une guerre civile entre « nord » et « sud » pourrait être plus destructrice dans les mois à venir.