AVIS : la France ne peut pas se permettre de continuer à protéger les consommateurs des hausses des prix de l'énergie

Le président français Emmanuel Macron s’adresse aux médias à la suite d’une conférence avec le chancelier allemand Olaf Scholz sur la crise énergétique. Photo par Ludovic MARIN / PISCINE / AFP

Les lumières resteront allumées en France cet hiver. Probablement.

Le message du président Emmanuel Macron aux Français lundi était autant un avertissement qu’une garantie.

« Nous sommes en guerre », a-t-il déclaré. La Russie arrête ses livraisons de gaz à l’Europe comme une « arme de guerre » pour tenter de saper la solidarité européenne avec l’Ukraine.

En conséquence, a-t-il dit, il y aura d’énormes problèmes avec l’approvisionnement énergétique français et européen cet hiver, mais il n’y a pas (encore) de raison de paniquer.

Nous pouvons éviter les coupures de courant et le rationnement de l’électricité et du gaz si le pays réduit sa consommation d’électricité de 10 %, a-t-il déclaré. Un plan gouvernemental de « sobriété » énergétique sera annoncé dans les prochains jours.

Tous les bâtiments de l’État recevront l’ordre de participer, a-t-il déclaré. Les ménages seront invités – mais pas encore contraints – à faire des économies, comme baisser le chauffage à 19°C.

Macron a également averti, sans le dire clairement, que les factures françaises d’électricité et de gaz subventionnées par l’État – actuellement enviées par l’Europe – exploseront l’année prochaine. L’ampleur de cette explosion n’est pas claire.

Le ministère des Finances fait toujours ses calculs pour 2023, essayant d’équilibrer les menaces réelles sur les finances publiques avec – la France étant la France – les menaces possibles sur l’ordre public.

Placer un plafond de 4 % sur les factures d’électricité a déjà coûté à l’État près de 20 milliards d’euros depuis février, si l’on inclut les pertes forcées de la compagnie d’électricité en grande partie publique EDF. La facture totale de l’État jusqu’à présent, y compris le gel des prix du gaz et les subventions à l’essence et au diesel, s’élève à plus de 32 milliards d’euros, soit environ 1,3 % des revenus annuels ou du PIB du pays.

La « vraie » hausse des prix de gros de l’électricité en France cette année est plutôt de l’ordre de 50 à 70 %. De telles subventions ne peuvent pas continuer indéfiniment, a averti Macron (tout comme il semble que le nouveau Premier ministre britannique, Liz Truss, envisage de se tenir debout et de copier les Français).

J’ai écouté la conférence de presse d’une heure de Macron avec des pensées contradictoires.

La maîtrise du détail du président était extraordinaire, comme toujours. Mais il me semblait qu’il mettait les Français dans sa confidence et les trompait ; les avertissant des problèmes à venir tout en adoucissant les dures réalités.

Quelle est la gravité de la crise énergétique à laquelle la France est confrontée cet hiver ? Peut-il vraiment être résolu en tournant le cadran d’audition central sur 19C ?

La crise est-elle entièrement la faute de Vladimir Poutine, comme Macron l’a laissé entendre ? Pourquoi la fermeture du gazoduc Nordstream One reliant la Russie à l’Allemagne et à d’autres pays de l’UE devrait-elle menacer une pénurie d’électricité et de gaz ?

Pour répondre d’abord à la dernière question…. La pénurie d’électricité en France n’est qu’en partie causée par la guerre en Ukraine. La pénurie de gaz affecte la production et surtout le prix de gros de l’électricité dans un marché européen de l’électricité diaboliquement compliqué (et selon Macron dysfonctionnel).

Mais la France est normalement un exportateur net d’électricité. Elle aurait pu profiter de l’énorme bond des prix de gros de l’électricité cette année. Il a en fait importé de l’électricité des pays voisins, dont la Grande-Bretagne.

Plus de 80 % de l’électricité française provient de centrales nucléaires et plus de la moitié des réacteurs nucléaires français – 25 sur 56 – sont actuellement à l’arrêt. Cela est dû en partie à l’entretien de routine; en partie, c’est à cause d’une maintenance retardée en raison des blocages de Covid.

Mais il y a aussi un autre problème, plus inquiétant. Pas moins de 13 réacteurs français ont subi des fermetures d’urgence depuis janvier après que les inspecteurs ont découvert de la corrosion et de minuscules fissures dans leurs tuyaux de refroidissement.

En théorie, tout devrait fonctionner à nouveau d’ici février. D’ici là, l’approvisionnement électrique de la France est fragile.

Après s’être entretenu hier avec le chancelier allemand Olaf Scholz lors d’un sommet vidéo, le président Macron a un surplus d’énergie cet hiver.

La France vendrait une partie de ses stocks de gaz à l’Allemagne (qui est beaucoup plus dépendante que la France du gaz russe). L’Allemagne vendrait plus d’électricité à la France (y compris l’énergie des centrales polluantes au charbon dont les politiciens français aimaient se moquer jusqu’à récemment).

Macron a rejeté avec colère les suggestions selon lesquelles les défaillances du parc de centrales nucléaires français tant vanté étaient, d’une manière ou d’une autre, de sa faute. Il a mis en cause la malchance et la mauvaise maintenance d’EDF.

Les politiciens de droite reprochent au prédécesseur de Macron, François Hollande, d’avoir abandonné l’énergie nucléaire en 2007-2012 et Macron d’avoir été trop lent à décider de reprendre un programme de construction nucléaire.

En vérité, aucune nouvelle centrale commandée par Macron au début de son premier mandat n’aurait pu être opérationnelle cet été. Un réacteur à eau sous pression de nouvelle génération en construction à Flamanville en Normandie a été retardé en série par des défauts de conception. Il devait ouvrir en 2012 mais ouvrira finalement l’année prochaine.

En somme, la pandémie de Covid et un parc nucléaire vieillissant se sont conjugués à la guerre d’Ukraine pour créer un grave problème énergétique en France. La situation a été aggravée par la chaleur et la sécheresse de cet été qui ont limité l’eau du fleuve disponible pour refroidir les centrales électriques.

Jusqu’à présent, les familles françaises et la plupart des entreprises françaises ont été protégées de ces difficultés par le plafond de 4 % sur les factures d’électricité. Comme Macron l’a prévenu lundi, cette protection sera affaiblie l’année prochaine. Les subventions de l’État se poursuivraient, a-t-il dit, mais prendraient principalement la forme d’une aide aux bas salaires. En d’autres termes, les factures de nombreux ménages et entreprises augmenteront considérablement.

La guerre en Ukraine a aggravé ce problème ; il a également servi à masquer certaines des causes. Le président Macron a eu raison de dire hier que la France et l’Europe sont « en guerre ». Il a raison d’appeler – comme il l’a fait le mois dernier – à ce que les Français soient prêts à faire des « sacrifices » pour continuer à soutenir l’Ukraine.

Mais les coupures d’électricité françaises cet hiver, si elles se produisent, ne seront pas entièrement, ni même en grande partie, la faute de Vladimir Poutine.