Des centaines de manifestants ont été arrêtés en France la semaine dernière en réponse aux grandes manifestations qui ont éclaté dans tout le pays contre la réforme des retraites du gouvernement.

Après le premier rassemblement spontané du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde à vue et présentées au parquet, pour recevoir un avertissement.

Mais seuls neuf manifestants ont été inculpés d’infractions réelles.

Cela signifie que près de 97 % – soit 283 dossiers – ont été clôturés sans aucun suivi ni mise en accusation.

Garde à vue « arbitraire » ?

Les médias français ont même rapporté que deux mineurs autrichiens “en voyage scolaire” se sont retrouvés en garde à vue à la suite des manifestations du 16 mars. L’ambassade d’Autriche est intervenue pour les faire libérer.

Des questions sont maintenant soulevées quant à savoir si cette tactique d’arrestation massive par la police est utilisée simplement pour frustrer le mouvement de protestation.

Avocats, magistrats et hommes politiques dénoncent la garde à vue « arbitraire », la voyant, comme dans autres mouvements de protestation ces dernières années, comme une « répression du mouvement social ».

Certains Parisiens de passage alors que les manifestations se poursuivaient pendant le week-end, se sont retrouvés arrêtés et placés en garde à vue sans qu’on leur en donne une raison claire.

Le lendemain, le 17 mars, 60 personnes ont été placées en garde à vue : 34 affaires ont été classées, 21 ont donné lieu à des mesures alternatives, comme une mise en garde ou un avertissement, et seules cinq ont été jugées.

L’un des principaux problèmes avec la récente vague de protestations et d’arrestations est que la police n’a pas toujours donné de raisons claires pour la détention.

Coline Bouillon, une avocate qui a assisté certains manifestants, a expliqué que les manifestants avaient ”toutes sortes de profils : des étudiants de la [local university]des médecins, des sans-abris, des mineurs, des syndicalistes, des enseignants, des gens qui sortaient d’une conférence et se faisaient rafler ».

Les manifestants ont alors été informés par la police qu’ils avaient été placés en garde à vue pour “participation à un groupement en vue de préparer la violence”, ou “dissimulation de visage” et placés en garde à vue pendant 24 ou 48 heures, a précisé l’avocat.

Elle a ajouté que cette pratique est connue sous le nom de “garde à vue-sanctions”, où les manifestants avaient contre eux des “dossiers irréguliers” qui étaient “vides en termes de preuve de culpabilité”.

Un collectif d’avocats, dont elle fait partie, entend déposer une plainte collective contre la police pour “détention arbitraire” et “entrave à la liberté de manifester”.

Une instrumentalisation de la justice ?

Dans un communiqué, le Syndicat de la Magistrature (SM), le syndicat des magistrats, a également dénoncé les nombreuses interpellations policières, y voyant une « répression du mouvement social ».

“C’est la première fois que le gouvernement français utilise le droit pénal pour dissuader des manifestants de manifester et d’exercer leur liberté”, a déclaré Raphaël Kempf, avocat français spécialisé dans les méthodes de répression judiciaire.

Plusieurs politiciens de gauche ont critiqué les “arrestations arbitraires”.

Un thème récurrent depuis le mouvement des gilets jaunes

Cette pratique avait déjà été critiquée lors du mouvement des « gilets jaunes ». “Le nombre jamais vu d’interpellations et de gardes à vue intervenues de manière préventive”, avait relevé le Défenseur des droits dans son rapport 2018citant le 8 décembre, où près de 2 000 personnes avaient été interpellées dans toute la France.

Amnesty International France a également publié un rapport sur les « arrestations arbitraires » lors d’un rassemblement le 12 décembre 2020 à Paris contre la loi « sécurité mondiale » – 142 personnes interpellées et près de 80 % libérées sans poursuites.

Un compte Twitter a même été créé pour compiler toutes les vidéos documentant les violences policières depuis 2019. Le compte a déclaré avoir relaté plus de 5 000 cas d’abus présumés depuis lors.

Depuis « une quinzaine d’années », on assiste à une « judiciarisation de la police », note Fabien Jobard, directeur de recherche à l’Institut Centre national de la recherche scientifique CNRS, spécialiste de ces questions.

Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010, qui a créé le délit de “participation à un groupe en vue de commettre des violences ou des dégradations” – initialement passé à “lutter contre les violences en bande et les violences dans les stades” mais utilisé depuis dans manifestations.

Entre les schémas “répressifs” et “préventifs”, où les arrestations ont lieu avant les manifestations ou avant que des violences ou dégâts majeurs ne soient commis, “le curseur est de plus en plus du côté préventif”, a-t-il souligné.

Les forces de police ne procèdent pas à des “arrestations injustifiées”

Le ministère français de l’Intérieur a déclaré mardi “qu’il n’y a pas d’arrestations injustifiées”.

“Nous interrogeons des personnes pour des infractions qui, à nos yeux, sont constituées”, a déclaré un porte-parole, mais “48 heures (de garde à vue) pour tenter de traiter l’infraction, c’est court”, a-t-il ajouté.

Des instructions ont-elles été données pour des arrestations massives ?

“Non”, a déclaré un haut gradé de la police à l’agence de presse AFP, ajoutant que “lorsque des profils à haut risque sont arrêtés, ils n’agitent plus les autres”.

Mais avec autant d’interpellations, la “manœuvre est risquée”, renchérit un autre policier spécialiste de ces questions.

Selon lui, ils « exposent la main-d’œuvre, monopolisent les officiers » et « risquent de radicaliser les manifestants ».